C’est le 27 septembre 1932, dans la paroisse de Boilleau, qu’Angelo Brouillette voit le jour. « J’avais 3 mois quand on m’a baptisé au pont du Lac HaHa! Il n’y avait pas encore d’église et c’est le curé de Grande Baie qui montait dire la messe. Il m’a attrapé par les pattes et il m’a mis la tête dans l’eau du lac ! »
Son père, Henri Brouillette, est originaire de Trois-Rivières. Sa mère, Mayrie Ellefsen, est déjà veuve et mère de 10 enfants quand elle rencontre Henri. « Mon père a pensionné chez elle, à Saint-Fulgence. Il était venu ici pour l’ouvrage mais en 1930, le moulin à Port Alfred a fermé. C’est pour ça, ils ont bâti Saint-Félix, Sainte-Rose-du-Nord, Saint-Fulgence, Boilleau et Ferland. Le monde qui n’avait plus d’ouvrage, ils se sont pris des terres, les ont défrichées. Ils ont vidé les villes pour s’en aller en campagne. »
Le grand-père maternel, Olof Ellefsen, est norvégien et travaille sur un bateau. À hauteur de Saint-Fulgence, au moment de retourner vers l’Europe, il fait partie des cinq marins qui se sont jetés à l’eau, ils ont déserté le bateau Olsen.
Les recherches ont duré pendant deux années, mais les fugitifs n’ont jamais été retrouvés ! « C’est comme cela que le grand-père Ellefsen s’est ramassé à Saint-Fulgence chez un Maltais. »
Durant son enfance, monsieur Angelo va tous les matins à pied à l’école. « On faisait un mille, pas habillés quasiment. Y’avait pas de soute, rien ! Les petites filles en bas de soie, pas de bas de culotte. Des fois, on avait deux chiens qui venaient nous mener, on mettait une poche de foin, ils se couchaient dessus. Ils nous attendaient toute la journée à l’école. » Dans ce temps-là, il y avait une église, deux écoles, deux salles paroissiales. Les familles étaient nombreuses. « Rien que chez Atol Simard, ils étaient 21 ! »
« Quand j’avais 11 ans, mon père m’a dit : tu viens avec moi dans le bois. Y’avait rien que des filles à la maison. On bûchait au sciotte, dans la grosse montagne du Four, au petit Lac HaHa. On se bâtissait des camps dans la montagne. Dans ce temps-là, on bûchait pour la compagnie Price. On faisait 200 cordes de bois de pulpe par maison pour la Compagnie, chaque cultivateur avait un montant pour vivre. »
Celui qui bûchait l’hiver, se rappelle que l’été, la famille faisait son argent en ramassant des bleuets. « J’en ai ramassé 20 ans des bleuets. J’en ramasse encore ! Y’a des journées, on pouvait voir 10 ours, c’était apeurant, on ramassait avec la carabine. »
En hiver, les Brouillette vidaient la maison et toute la famille montait dans le bois où elle vivait dans un camp. « Des fois, on était 5 ou 6 ans dans le même camp, et quand il y avait plus de bois, on en bâtissait un autre ailleurs. En dernier, on était à Ferland, en arrière de l’église. Quand la plus grande des filles était assez vieille, elle restait à la maison avec les plus jeunes qui allaient à l’école. »
Pour nourrir tout ce beau monde, le père de monsieur Angelo chassait et trappait. Il arrivait aussi qu’ils mangent de l’orignal. « Le garde-chasse, il y’en avait rien qu’un, il était pas dur à déjouer ! On virait les raquettes de bord pour pas qu’il sache où est-ce qu’on l’avait pris. On passait avec la wagen et le cheval, et on en donnait à tous ceux-là qui étaient pas capables de chasser, on en donnait aux veuves, on partageait. »
Pour arrondir les fins de mois, Angelo et son père faisaient 400 cordes de plus pour du bois de poêle. « On le vendait 2 piastres la corde à du monde de la ville. Je bûchais trois cordes par jour à la sciotte, la montagne de l’autre bord, j’ai vu ça tout cordé en bois deux fois dans ma vie. »
Il fallait monter avec deux chevaux, c’est eux qui charriaient le bois. Angelo se rappelle : « Mon père lisait le chapelet chaque fois qu’on montait sur la montagne, il avait peur qu’on se tue, c’était l’enfer à descendre, le bois. On n’était pas capables d’arrêter en bas au chemin, alors on mettait des chaînes, on appelait ça un bœuf. On accrochait des chaînes en arrière, on mettait 3 cordes de bois dedans et on les traînait dans la neige pour que ça nous ralentisse. Les chevaux tombaient quand c’était sur la glace. Ça prenait une heure et quart pour monter avec le cheval et la team et pour redescendre, ça se faisait en un ¼ d’heure. C’était apeurant, c’était l’enfer ! »
Bien sûr, il y a aussi des moments magiques dans l’enfance de monsieur Angelo, comme quand toute la famille allait à la messe de minuit. « On descendait du bois à cheval, y’avait des clochettes après les chevaux, tout le monde du rang double s’en venait, on les entendait. »
Toute une vie dans le bois, à bûcher et à trapper.
Avec une enfance comme celle-là, c’est tout naturellement que monsieur Angelo est devenu un fameux trappeur. « Je prenais 35 castors par année ! En commençant par le rat musqué et la belette en montant, j’ai trappé tous les animaux, jusqu’au loup cervier. Il y’avait un gars de Baie-Saint-Paul, et Clément Dufour à Chicoutimi, sur la rue Racine. Ils passaient par les maisons et achetaient à tous ceux-là qui en vendaient, des peaux. On vivait avec ça, les bleuets, la chasse, la pêche et le bois. »
Le premier chapitre de la vie de monsieur Angelo s’achève ici. Mais, pas de doute, il va falloir consacrer d’autres articles à ce personnage intarissable. Sa rencontre à Sainte-Rose-du-Nord avec Solange Rousseau, celle qui allait devenir sa femme, son implication dans l’économie du village, toutes ces histoires de chasse qui dorment avec les boîtes de photos, ou sa visite quotidienne à l’usine Fabrication Bois Concept, installée sur les terres qu’il a vendues, il y a maintenant bien longtemps.
À bientôt monsieur Angelo !