Au nom du patrimoine

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L'église de Petit-Saguenay a été construite en 1956.

Nos milieux ne manquent pas de défis à relever, et celui de la préservation du patrimoine religieux en est un de taille. Si le nombre de fidèles paroissiens lors des offices n’augmente pas, les coûts de chauffage et d’entretien sont eux en constante progression. Dans les grands centres, des églises échappent à la démolition en se transformant en condominium, mais la réalité est tout autre en campagne. Situées au cœur de l’histoire des villages, ces bâtisses patrimoniales y tiennent encore une place unique et privilégiée.

Il y a ici un paradoxe : d’un côté, les bancs des églises se vident lentement et de l’autre, la quête de spiritualité et d’un sens à la vie au-delà du matériel rejoint de plus en plus d’adeptes. Ce constat n’ouvrerait-il pas de nouvelles portes vers ces lieux de culte et de richesses patrimoniales, culturelles et historiques ? Est-il vraiment nécessaire d’être pratiquant pour apprécier le silence apaisant d’une église ? En 2008, le tourisme religieux représentait déjà une économie de 18 milliards de dollars avec quelques 300 millions de voyageurs de part le monde. Nos villages du Bas-Saguenay sont-ils prêts à prendre cette avenue ? Ont-ils d’ailleurs réellement le choix ?

Rivière-Éternité fait office de pionnière dans la région en matière de tourisme religieux. On se prépare d’ailleurs pour une 27e année d’exposition des crèches. Inauguré en 2009, le sentier Notre-Dame, Kapatakan – mot innu signifiant sentier – est venu bonifier le projet. L’Auberge du presbytère accueille régulièrement ces marcheurs qui commencent leur pèlerinage par le majestueux sentier de la Statue, surplombant le fjord. « Les gens viennent souvent pour deux nuits à L’Auberge, » précise Dolande Fortin, conseillère municipale à Rivière-Éternité. « Ils arrivent en soirée, partent faire le sentier le lendemain, se reposent ensuite de leur ascension, paisiblement, au cœur du village et repartent sur Kapatakan le matin suivant. »

Une magnifique œuvre de Victor Dallaire siège à la gauche de l’hôtel de l’église de Rivière-Éternité.

L’exposition des crèches, située dans le sous-sol de l’église, verse un loyer mensuel de 385 $ à la fabrique. « Presque tous les visiteurs de notre exposition demandent à voir l’église, souligne Reina Simard, conseillère municipale faisant partie du comité des crèches depuis  maintenant 17 ans. On leur parle bien sûr de cette magnifique œuvre de Victor Dallaire qui siège à la gauche de l’hôtel. »

Pour Annie Simard, secrétaire de la fabrique, il est clair que l’entretien de l’église demeure un fameux contrat. La vente du presbytère, transformé depuis en auberge, aura cependant permis de refaire le toit. « Uniquement pour le chauffage, nous dépensons entre 14 000  $ et 17 000 $ par année. C’est grâce aux dons des paroissiens, à la capitation et aux campagnes de financement de l’automne que nous arrivons à continuer. Quelquefois, nous organisons des brunchs au centre des loisirs de Rivière-Éternité.Cela nous rapporte autour de 1000$. » Pour l’instant, et même si le déficit ne se résorbe pas, la fabrique n’a pas envisagé de développer d’autres moyens de financement.

« C’est certain que les comités pourraient travailler encore plus ensemble à Rivière-Éternité et avec les financements qui diminuent, on n’aura bientôt plus le choix de se rassembler, sinon on va couler, » soulignent Dolande Fortin et Reina Simard en guise de conclusion.

Du côté de la Fabrique de Petit-Saguenay, l’équilibre budgétaire est également difficile à atteindre. «  La bâtisse est très grande et mal isolée, il ne faut pas se le cacher, et juste en huile pour le chauffage, cela nous coûte un bon 20 000 $; une année, on a même atteint les 22 000 $, »se rappelle Carmelle Labbé, présidente de la fabrique.

Dans le sous-sol de l’église se côtoient différents organismes. On y retrouve la bibliothèque, le local des fermières, la Saint-Vincent de Paul, un salon funéraire et une salle polyvalente que se partagent les Chevaliers de Colomb et le Club de l’Âge d’Or. Cette année, pour les périodes froides, c’est également dans cette salle que les messes étaient données.

Pour se financer, la fabrique propose des soirées bénéfices comme le souper spectacle organisé par les chevaliers de Colomb et les fermières, qui a eu lieu à l’aréna La Vallée, le 6 juin dernier. « Il y a aussi la capitation sur laquelle nous comptons beaucoup, ainsi qu’une quête organisée à l’automne pour le chauffage, et bien sûr, la municipalité qui nous aide avec de petites subventions, » conclut celle qui se dit très ouverte à d’autres moyens ou activités de financement, permettant à la Fabrique de continuer à entretenir cette bâtisse construite en 1956 et dont le toit aurait bien besoin d’attention.

À Saint-Félix d’Otis, les différentes activités de financement ne manquent pas et pourraient bien inspirer les municipalités voisines. L’automne dernier, l’église de Saint-Félix a accueilli un spectacle de Patrick Normand, permettant de récolter 14 500 $ de profit net.  « C’est cela qui nous a permis de vivre cet hiver, précise Jeannot Claveau, président de la fabrique. En ce moment, on est en négociation pour faire un souper chantant, toujours dans l’église. »

À Saint-Félix d’Otis, les différentes activités de financement ne manquent pas et pourraient bien inspirer les municipalités voisines.

Si dans certains pays d’Europe, le budget alloué à la conservation du patrimoine religieux est retiré directement des impôts aux particuliers, ce n’est pas le cas au Québec. Il faut donc faire preuve d’ingéniosité. Avec son projet d’église étoilée, qui a permis de vendre près de 300 étoiles confectionnées par l’artiste local Jean-Denis Simard, la Fabrique a par la même occasion organisé des soirées à thème : poésie sous les étoiles, Marie sous les étoiles, etc. qui ont permis d’amplifier le projet initial, et les dons s’y rattachant.

La capitation rapporte environ 15 000 $ par année, dont 3000 $ seront redistribués à l’évêché, mais avec un budget annuel de 62 000 $, il faut savoir se diversifier. Linda Tremblay, conseillère municipale très impliquée dans la préservation du patrimoine bâti, pense même à un projet de pièce de théâtre qui serait présenté dans l’église. « On est conscient que les gens ne se mettent plus à genoux mais ils pratiquent dans leur cœur !On est également conscient d’être des hôtels 5 étoiles pas isolés et peu fréquentés : maintenant il faut se demander comment on fait pour garder ces bâtisses debout! »

La chorale de Rivière-Éternité, au Chœur des générations, est venue faire un concert à Noël. Il n’y a là aucune guerre de clocher ! Petit-Saguenay, de son côté, fournit l’autobus pour que les résidents du village puissent assister aux soirées de poésies étoilées.

Le Symposium de Saint-Félix-d’Otis se déroule maintenant depuis trois années sous les plafonds majestueux de ce lieu de culte construit en 1953. S’il rapporte à la fabrique à peine plus que le montant alloué au chauffage, il permet cependant d’en augmenter la visibilité.

À L’Anse-Saint-Jean, l’ouverture des portes de l’église, qui fête cette année ses 125 ans, a souvent été suggérée par les nombreux touristes toujours en quête d’histoire et de culture. Fruit d’un beau partenariat entre la municipalité, la Fabrique, le comité touristique et Promo des arts, l’exposition qui a vu le jour l’été dernier,  poursuivra son offre tout au long de l’été. C’est autour des thèmes religieux, historiques et culturels que le projet d’exposition s’est forgé. L’année dernière, lors de sa première édition, cette dernière a accueilli pas moins de 3200 visiteurs et a permis de récolter 3800 $ de bénéfice net.

Fruit d’un beau partenariat entre la municipalité, la Fabrique, le comité touristique et Promo des arts, l’exposition qui a vu le jour l’été dernier, poursuivra son offre tout au long de l’été.

« À partir de l’église, on peut parler de l’évolution du village. On sait qu’à ses débuts, il se situait en face du camping. Pourquoi les résidents ont immigré sur les hauteurs ? On pense aux inondations, il y a également le travail en forêt qui a déplacé les gens vers Périgny, » souligne Mario Dufour, membre du comité touristique très impliqué dans ce projet d’exposition.

Il poursuit : « Au niveau de la stratégie touristique, le côté socioculturel est un produit rare au Bas-Saguenay. Le plein air, c’est beau, on vend très bien le fjord, les montagnes encore sauvages, les activités éco-touristiques mais les arts, l’histoire, la société, on pourrait, je pense développer bien davantage ce secteur. C’est un fabuleux complément à l’offre touristique déjà en place. L’église, c’est aussi l’histoire des premiers colons. »Construite en 1889-1890 selon les plans de l’architecte David Ouellet, l’église de L’Anse demeure l’une des trois plus anciennes de la région.

Du côté culturel, le Bistro de L’Anse,le Café du Quai et le Restaurant l’Islet savent se démarquer en accueillant une palette d’artistes tout au long de l’été. Pour accueillir des groupes de 50 visiteurs qui débarquent à peine des croisières, l’exposition de l’église est un produit qui peut parfaitement agrémenter la suite de la journée. À L’Anse-Saint-Jean, on parle même d’un projet de centre historique et religieux, allant du presbytère et sa croix de chemin, au pont couvert avec la rue du Faubourg qui pourrait alors devenir piétonne l’été.

« Ici à L’Anse, on a le côté patrimoine religieux avec l’église qui possède toujours les anciens vêtements des prêtres. Il y aurait de quoi créer un économusée, » conclut Mario Dufour qui ne manque pas de projets d’envergure pour la région, puisqu’il parle même de lancer, pourquoi pas, un circuit touristique incluant les églises de Rivière-Éternité et de Petit-Saguenay.

La fabrique a de son côté décidé de mettre en vente le presbytère et rencontrera ses paroissiens à ce sujet dès l’automne prochain. « Le budget de la fabrique ne permet pas de conserver et d’entretenir deux bâtisses, on en est tous conscients. La solution pour équilibrer notre budget sera donc de mettre en vente le presbytère qui de toute façon n’accueille plus de prêtres. La mission de la fabrique reste de veiller aux lieux de culte et à L’Anse, on devra se concentrer sur notre église, » précise Rachel Saucier, présidente de la fabrique.

Chaque village a son  église. Chaque église a son village, ses projets et ses défis. Maintenir debout ces bâtisses aux plafonds immenses, lieux de silence et de lumière, dont l’histoire,inextricablement  liée à celle d’un pays, s’est développée au fil des sentiers, des forêts, des lacs et des villages. Saint-Étienne, Saint-Félix, L’Anse-Saint-Jean, Rivière-Éternité, notre histoire se rappelle de ces clochers servant autrefois de repères aux voyageurs égarés, de ces lieux de rassemblement autour desquels se construisaient les communautés. Je me souviens dit le Québec, et au-delà de la religion, les églises nous rattachent à notre histoire, nos racines et nos valeurs. En les préservant et en les intégrant à nos nouvelles réalités, c’est l’âme même de nos communautés qui demeure vivante.