Aux Fleurs Ensorcelées, de Saint-Fulgence à Saint-Félix-d’Otis

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Fanny Hallot et Marie-Pier Poulin, les deux cofondatrices d’Aux Fleurs Ensorcelées

Je tape le mot “floriculture” sur mon ordinateur et le correcteur automatique le souligne avec des petites vaguelettes bleues. Il ne le connaît pas. Il me propose de le remplacer par “agriculture”. Pourtant, la floriculture est une branche de l’agriculture qui existe bel et bien. Elle connaît même un nouveau-né au Bas-Saguenay : Aux Fleurs Ensorcelées, une ferme florale qui devrait s’implanter sur les terres des Paysans du Fjord à Saint-Félix-d’Otis dès l’année prochaine.

Marie-Pier Poulin et Fanny Hallot, les deux cofondatrices d’Aux Fleurs Ensorcelées, m’ont donné rendez-vous à la ferme La Bricole à Saint-Fulgence. Une petite parcelle, gentiment prêtée par Antoine, le propriétaire, est leur terrain de jeu pour cette première année test de leur entreprise. À mon arrivée, les trois soleils de Saint-Fulgence sont au rendez-vous, le ciel est bleu et le vent m’accueille avec ardeur. Marie-Pier avec son ventre tout rond et Fanny avec sa belle casquette verte de La Bricole sont là, à laver des tulipes à demi fermées à l’abri d’une belle bâtisse en bois.

Une graine a germé à leur rencontre

Marie-Pier est née sur une ferme laitière à La Baie. Elle cherche sa voie pendant longtemps, et réalise une technique en diététique, ainsi qu’un bac en littérature. Fanny, de son côté, étudie dix ans en biologie dont cinq ans de recherche fondamentale, en parallèle de contrats artistiques.

Durant la pandémie, les deux jeunes femmes se rencontrent chez Réflex Paysage à Chicoutimi, où elles passeront leur été à désherber, planter et tailler. Prendre soin des plantes (re)devient une passion pour les deux nouvelles amies. Puis, elles réalisent un cours en maraîchage biologique à Victoriaville. Un stage s’ensuit à la ferme OLAC à Jonquière pour Marie-Pier et à la ferme La Bricole à Saint-Fulgence pour Fanny.

« Ok, on fait de l’agriculture, mais on fait quoi maintenant ? », se demandent-elles. Le marché étant plutôt saturé dans la région, les deux jeunes femmes ne souhaitaient pas s’embarquer dans le maraîchage. Elles cherchaient quelque chose de différent, de plus émotif et moins rationnel à leurs yeux. Lorsque Fanny propose à Marie-Pier de créer une ferme florale, c’est l’éclosion !

Le mouvement des slow flower

Fanny et Marie-Pier souhaitent développer une ferme de fleurs locale et écologique, centrée sur la communauté et les saisons. Cette volonté s’inspire du mouvement des slow flower, créé en 2013 par Debra Prinzing aux États-Unis. Le but de ce mouvement est de « prendre le temps de faire pousser des fleurs comme elles devraient pousser », m’explique Fanny. Ce mouvement est né d’un constat négatif pour l’environnement : l’industrie floricole mondiale est méconnue et pourtant très polluante.

Les fleurs et plantes qui ornent nos intérieurs viennent principalement d’Afrique de l’est, d’Hollande et d’Amérique latine. Leur culture, nocive pour la santé des sols, des travailleurs et des consommateurs, n’est pas réglementée puisque ce ne sont pas des produits comestibles. Leur traçage est souvent difficile. De plus, les normes esthétiques pour les fleurs en bouquets sont très strictes, il y a donc beaucoup de pertes.

Au travers de ce projet de vie, les deux amies espèrent poursuivre la relation que les femmes ont toujours eue aux plantes. D’où leur nom de Fleurs Ensorcelées, en hommage aux sorcières, reconnues comme les premières éco féministes. Elles souhaitent faire transparaître l’aspect poétique et magique des fleurs dans leur métier d’agricultrices.

2023, une première saison test

Pour cette année, Fanny et Marie-Pier ne sont pas encore en « vraie production », comme elles disent. Pour Marie-Pier, « le gros projet de cette année c’est mon bébé, donc des fleurs coupées c’est ben suffisant », me dit-elle en ricanant. Elles en profitent pour faire des expérimentations et obtenir des données agro-économiques. En effet, la littérature sur la floriculture n’est pas encore florissante au Québec. Le premier ouvrage et guide pour un projet de ferme florale adapté à notre climat nordique, écrit par Chloé Roy, est paru le 9 mai dernier.

Cette saison, elles vont planter une cinquantaine de variétés de fleurs. Tout ce beau petit monde est actuellement en train de germer dans l’atelier de Fanny, transformé en chambre à semis : achillées, mufliers, cosmos, tagètes, dahlias, pensées, nicotines, tournesols, coréopsis, pavots, centaurées, et bien plus encore. « Avec ça, on va récolter quelques fleurs sauvages, ce qui va remplir le creux entre la fête des mères et la floraison des fleurs en champs », complète Fanny.

Elles proposent des abonnements de bouquets, basés sur le même principe que des paniers de légumes. Elles offrent cinq bouquets, de mi-juillet à mi-septembre. Leurs points de chute sont à la ferme La Bricole et dans le centre-ville de Chicoutimi, avec des possibilités de livraison à la Baie. « Beaucoup de clientes ont offert un abonnement à la fête des mères », m’explique Fanny. Plutôt qu’un bouquet, ces chanceuses vont donc en avoir cinq durant l’été. « Les fleurs ce n’est pas comme les légumes, les gens mettent plus de temps à s’abonner car ce n’est pas vital, c’est un achat émotif ! », ajoute-t-elle.

Évolutions pour les prochaines années

À long terme, l’idée est de vendre des bouquets, des fleurs à l’unité et des compositions sur-mesure pour des évènements. Les fleurs seront fraîches ou séchées, d’ornement ou comestibles. En effet, Marie-Pier a poussé un peu plus loin en apportant l’aspect nutritif et thérapeutique à leur projet. « C’est peu connu, mais il existe une panoplie de saveurs qu’on peut aller chercher avec les fleurs ! », m’affirme-t-elle. Côté nutritif, elles chercheront donc à développer des partenariats avec des restaurateurs et des microbrasseries. Côté thérapeutique, Fanny et Marie-Pier souhaitent développer des tisanes uniques tout en combinant des saveurs intéressantes et inusitées. Dans un futur encore plus lointain, elles envisagent aussi la transformation pour faire des produits comme du kombucha par exemple.

Une des priorités est d’étendre la saison à vingt semaines de culture. Pour ce faire, elles devront rapidement investir dans des infrastructures comme des tunnels ou des serres froides. Elles pourront installer ces aménagements chez Les Paysans du Fjord, qui vont leur louer des parcelles, dès l’année prochaine. Ce partenariat entre floriculture et maraîchage est bénéfique pour tout le monde : mise en marché commune, augmentation de l’offre et favorisation de la biodiversité notamment grâce aux plantes mellifères qui attirent de nombreux pollinisateurs.

Alors, si vous passez vers Saint-Fulgence cet été, n’hésitez pas à vous arrêter à la ferme La Bricole les vendredis après-midi et les dimanches pour acheter des fleurs à Fanny et Marie-Pier !