Bertrand Bouchard est né le 6 novembre 1942, dans la maison qu’il habite encore actuellement, la dernière avant d’entrer au Parc national à Rivière-Éternité. « Quand mon père Aquilas Bouchard est arrivé ici avec ma mère, Marie-Anna Bergeron, ils se sont bâtis un petit camp sur le bord de la rivière Éternité. Il a défriché la terre pendant une à deux années, s’est fait un chemin pour monter sur la côte et a construit la maison où on reste maintenant avec ma femme Rosella. »
S’ils se sont rencontrés et mariés à L’Anse-Saint-Jean, les parents de monsieur Bertrand sont partis pour Rivière-Éternité dans les années 30, à l’époque de la colonisation du canton Hébert. « Il n’y avait plus de lot à Périgny, alors il fallait bien s’installer quelque part pour faire vivre sa famille. Les terres de Rivière-Éternité, on les a souvent comparées à des terres de roches, mais nous autres, on a été chanceux, c’était vraiment de la belle terre sur notre lot. » À l’époque, les familles qui partaient ainsi vivre sur de nouveaux territoires, on leur donnait une vache, des graines pour le foin et de la chaux pour équilibrer le pH des terres souvent acides.
Une famille de 10 enfants à nourrir

Les 7 premières années de leur mariage, Marie-Anna et Aquilas n’arrivent pas à avoir d’enfants. Ils adoptent alors Thérèse. Et c’est ainsi que la famille s’est multipliée, comme si cette première fille avait été l’élément déclencheur d’un véritable baby-boom. Ensuite sont arrivés Georgette, Carmen, Éliana, Eugénie, Jocelyne et Liette, pour les filles; Paul, Valérien et Bertrand du côté des garçons.
« On a tout le temps eu des cochons, une belle truie qui avait 10 à 12 petits, et 7 ou 8 moutons pour la laine. On avait toutes nos légumes pis au mois de mars, on avait hâte d’ouvrir la cave à patates. Une fois que la neige commençait à tomber, il fallait attendre au début du printemps pour la rouvrir. On avait un caveau à côté de la maison, mais rendu à la fin de mars, il restait plus grand chose. Mon père, il avait le pouce vert, dans le caveau, il arrivait à garder les choux tout l’hiver, il les arrachait, gardait la racine et les attachait la tête en bas. J’ai essayé mais j’ai jamais réussi à les garder frais comme mon père. » C’est donc Aquilas qui s’occupait des jardins pendant que Marie-Anna avait de quoi faire avec leurs 10 enfants !
Là où il y a maintenant le cimetière, la famille Bouchard avait son champ de patates. « Quand j’étais jeune on sortait des centaines de poches de patates de là. Les voisins, des fois ils en avaient pas alors ils venaient en ramasser pour nous autres et mon père les payait avec des patates ! C’est pour ça qu’au début, quand la Fabrique a voulu acheter un terrain-là pour en faire un cimetière, ma mère ça lui plaisait pas pantoute. »
Souvenir du territoire

Quand on demande à Bertrand Bouchard quel est son plus beau souvenir d’enfance, il n’aura même pas une seule seconde d’hésitation ! « C’est quand on allait coucher à la baie Éternité. Dès que l’école était finie, vers le 20 juin, on partait là. Y’avait un très beau sentier, un contracteur de l’Anse-Saint-Jean avait faite du bois pis il y allait avec des chevaux. En descendant on prenait de la truite dans la rivière. »
La gang de chums dormait là où se trouve maintenant l’aire de pique-nique. « La première fois que je suis allé là, je devais avoir 8 ans, avec mes chums et mes frères qui étaient plus vieux. On avait juste une toile pour se mettre à l’abri, mais des fois, y’avait des maragouins, on était plus capables de tougher, alors on allait se cacher dans le camp des Gaudreault. » Celui qui se souvient parfaitement de ces moments partagés au pied des falaises du cap Trinité poursuit ainsi : « Le soir y’avait toujours quelqu’un qui passait, le monde venait pêcher à l’entrée de la rivière, des gens de Sainte-Rose-du Nord arrivaient en chaloupe. Une fois on s’est fait prendre par la mer, on pensait pas toujours aux grandes marées de 22 pieds. Ce sentier-là, tant que j’ai pas été marié, je l’ai fait tous les étés ! Le soir, on voyait sauter le saumon à l’entrée de la rivière. On y prenait de la truite et de la loche ! »
La relève de la ferme familiale
Aquilas Bouchard faisait le Syndicat, ça veut dire qu’il bûchait tout l’hiver dans la forêt juste à côté de chez lui et qu’il rentrait tous les soirs à la maison. Son fils Bertrand avait 16 ans quand il a pris sa relève : « Ma 9e année était faite et je devais, à l’automne, partir dans une école à La Baie. Mais là, ma mère me dit : Tu pourras pas y aller cette année. Paul, le plus vieux se marie et ton père est plus capable de faire le Syndicat. C’est toi qui va aller dans le bois. J’avais 16 ans. J’aimais pas ben ça l’école mais j’étais tout le temps le 2e ou le 3e ! C’était en 1958, mon père venait pareil me montrer comment faire les chemins, bûcher avec un cheval. La scie mécanique était arrivée, mais les premières étaient lourdes et pas vraiment solides, les nuts étaient toujours démanchées, trop de vibrations ! »
Celui qui devait retourner étudier l’automne suivant a finalement travaillé pour le Syndicat jusqu’en 1970. « J’ai regretté longtemps de pas être allé à l’école, surtout quand je travaillais au Parc et que je parlais pas un mot d’anglais ! »
Monsieur Bertrand a vu son père travailler fort, défricher, ensemencer, récolter, et c’est sans aucun doute pour cela qu’il a toujours bien entretenu et qu’il entretient encore cette terre familiale. « Je pensais toujours d’avoir de la relève, la relève des jeunes mais c’est l’argent qui runne le monde aujourd’hui ! »
Une nouvelle famille

C’est en 1967 que monsieur Bertrand rencontre celle qui deviendra sa femme, Rosella Boudreault. « Je l’ai rencontrée dans le garage chez Jacques. Dans ce temps-là, il y avait là une salle de danse. Je rentre là un soir et Rosella était assise là avec sa sœur. Comment ça se fait que j’ai jamais vu ces filles-là ! Elles cherchaient quelqu’un pour les remonter chez elles à Saint-Félix alors j’ai dit : ben moi je peux ! La semaine suivante, elles voulaient aller au Colibri, je suis allée les chercher… c’est comme ça que ça a commencé. En 1967, on s’est mariés, ça va bientôt faire 60 ans, mais à toutes les fois que je rentre au garage chez Jacques, je pense à ça ! Imagine-toi ! »
Il faudrait certainement écrire bien d’autres chapitres pour passer au travers de tous les projets dans lesquels s’est impliqué monsieur Bertrand. Ce qui est certain cependant, c’est que du sang de défricheur coule bel et bien dans ses veines !