Ces communautés de femmes qui s’entraident

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Dans plusieurs régions du Québec, des groupes de femmes se rassemblent pour profiter de sorties en plein air. L’objectif est simple : s’entraider dans la planification d’aventures, partager infos et astuces, et surtout, passer de bons moments dans la nature! On peut mentionner Les Chèvres des montagnes, Les Vieilles Po (ski de montagne), les Pink Water (eaux vives), les Poules qui roulent (vélo de montagne), Whites Lips (ski hors-piste, Chic Choc). Comment expliquer cette popularité accrue?

Le plein air n’est pas exempt de sexisme

Il est incontestable que le plein air a gagné des adeptes dans la dernière décennie, et encore bien davantage dans le sillage de la pandémie. Pour des raisons de sécurité et aussi de plaisir, la pratique des activités extérieures se fait souvent en groupe. La chercheuse Lorie Ouellet, professeure en intervention plein air à l’UQAC, s’est penchée sur la question des rapports de genre dans les contextes de plein air et d’aventures. Ces observations ont permis de démontrer que des inégalités et des doubles standards persistent également dans ces milieux[1].

Par exemple, elle attire notre attention sur la question de la division des tâches en expédition. Certains hommes ont tendance à insister davantage pour être impliqués dans les tâches plus valorisées, notamment les tâches « techniques » comme le repérage ou l’exécution d’une manœuvre. En revanche, ils se montrent moins intéressés à accomplir les tâches associées au campement comme la cuisine et la vaisselle. Les attentes varient aussi selon les sexes : par exemple, il est généralement attendu que les femmes adoptent un style de leadership plus participatif pour être mieux reçues, puisque cela correspond davantage aux stéréotypes de genre. En revanche, on ne remet pas en question les hommes qui n’hésitent pas à assumer un leadership plus assumé, voire directif.

Par ailleurs, au cours de ces entrevues, plusieurs femmes ont partagé à la chercheuse qu’elles sentaient un besoin de « faire leurs preuves » et qu’elles avaient « peu le droit à l’erreur ». Finalement, la chercheuse identifie un type de sexisme qu’elle qualifie d’« ambivalent » : il y a une attitude globalement positive à l’égard des femmes, mais qui est accompagnée de comportements qui insinuent de faibles attentes à l’égard des compétences des femmes. Ceci peut se traduire par une pression de performance qui a un impact négatif sur la confiance en soi des femmes et leur propension à développer de nouvelles habiletés.

La non-mixité, une pratique historique

La non-mixité est une pratique qui consiste à se rassembler entre personnes appartenant à un ou plusieurs groupes sociaux considérés comme discriminés. Elle a été employée et théorisée par les féministes françaises dès la fin du 18e siècle, et reprise par d’autres mouvements sociaux subséquents. Plus largement, cette pratique peut toutefois être utilisée par des groupes sociaux de différentes natures, politiques ou non, pour différentes raisons. Entre autres, il s’agit de créer un espace de confiance pour faciliter la prise de parole, le partage et l’entraide.

À ce titre, Le Cercle des fermières est une communauté composée exclusivement de femmes depuis sa fondation. L’objectif de ce mouvement de femmes est la transmission des savoirs et du patrimoine immatériel. Jacinthe Gagnon, membre de l’association de Petit-Saguenay, témoigne que le local est très fréquenté par les dames seules, souvent âgées, qui ne viennent pas uniquement pour tisser. Lorsque interrogée sur les raisons qui motivent les femmes à devenir membre, elle répond qu’il s’agit d’« un lieu d’échange qui fait du bien au moral : ça les rassure, sur leur santé, l’éducation des enfants ou les méthodes de tissage ». Elle ajoute qu’« il y a énormément d’entraide, beaucoup de rires, et pas de stress. Et en plus, elles font de belles créations! ».

Le Cercle des fermières a également une capacité de mobilisation remarquable : « si une personne dans la communauté a besoin d’aide, rapidement quelque chose peut être organisé, un souper communautaire ou une levée de fonds » rapporte Mme Gagnon. Celle-ci souhaite que « plus de jeunes femmes viennent nous trouver pour prendre la relève, parce qu’on est prêtes à leur montrer! »

Finalement, le concept de la non-mixité a essuyé des critiques fondées sur la crainte qu’il s’agisse d’une pratique créant davantage de division entre les groupes sociaux. Cependant, il est important de noter que cette pratique, telle que définie par la théorie féministe, est choisie et temporaire. Il s’agit d’un moment circonscrit, le temps d’un café ou d’une activité, pour des personnes qui partagent une identité ou une réalité spécifique. Il a depuis été démontré que se retrouver entre « nous » constitue un espace privilégié pour parler librement, créer des liens et des solidarités, améliorer la confiance en soi, et ultimement, contribuer à l’« empowerment » et au bien-être des personnes. Le Bas-Saguenay, destination plein air par excellence, gagnerait à mettre sur pied un tel groupe pour soutenir les femmes dans la découverte de la beauté du territoire. Des partantes ?

[1] https://lalancee.org/lorie-ouellet-un-regard-aiguise-sur-les-rapports-de-genre-en-plein-air