En rencontrant Georgette Bouchard, une charmante dame de 84 ans, c’est un peu l’histoire de Rivière-Éternité que l’on vient visiter. Du grand feu de 1935 à la création du Parc national du Fjord-du-Saguenay en passant par l’arrivée de l’électricité en 1951, cette sympathique dame à la mémoire impeccable nous emmène faire un tour dans la vie de son village.
« Mes parents vivaient à L’Anse-Saint-Jean et ils étaient déjà mariés quand ils sont arrivés à Rivière-Éternité. C’était au moment de la crise et ils invitaient les gens à défricher de nouvelles terres, des terres de colonisation. On leur donnait une vache aussi je crois mais mes parents n’avaient pas une grosse ferme, les terres étaient pas mal rocheuses. Je me rappelle, ma mère disait : on est arrivés en mai, il y avait des arbres partout, pis des mouches ! »
Georgette Bouchard a vu le jour à L’Anse-Saint-Jean, quelques mois avant le départ pour le canton Hébert. Elle sera la première fille de Marie-Anna Bergeron et Aquilas Bouchard. Son père travaillait dans le bois, en face de la maison et revenait tous les soirs. « Notre terre, elle était sur la rue Notre-Dame, juste avant l’actuel poste d’accueil du Parc et quand j’étais enfant, on avait de la viande, des œufs, du lait, du beurre. Aussi, on semait des patates pour l’année et on avait des jardins. Je me suis pas aperçue qu’on manquait de quoi que ce soit ! »
Pourtant la vie n’a pas été de tout repos pour ces quelques 35 nouvelles familles s’installant dans ce qu’on appelait à l’époque le Canton Hébert. À peine deux ans après leur arrivée, les colons travaillaient fort pour défricher la terre. Ils avaient amené leur famille de L’Anse-Saint-Jean pour vivre au départ dans des maisons de bois rond, et c’est à ce moment-là que le grand feu se déclare et rase pratiquement tout sur son passage.
« C’était le 26 mai, un dimanche de l’été 1935. La veille, des gens nettoyaient leur terre, ramassaient des branches, faisaient des tas pour y mettre le feu, et le lendemain, avec le soleil et le vent, le feu a repris de plus belle. Papa nous avait envoyés dans la cave à patates, avec tous les enfants du rang. Il me semble qu’on pleurait, on avait peur de manquer d’air. On est restés là 4 heures au moins, pendant que les hommes arrosaient les camps pour pas qu’ils brûlent. J’étais pas vieille mais je me rappelle quand on est sortis, tout était noir, les arbres, les maisons avaient presque toutes brûlé, les granges avec le grain, le bois de poêle, c’était terrible ! »
La solidarité, la ténacité et le courage de ces premières familles a permis de traverser l’épreuve puisque en 1936, on comptait pas moins de 236 habitants sur le territoire du canton Hébert. Les camps sont devenus des maisons et les terres peu propices à la culture ont dirigé les hommes vers l’exploitation forestière. La grande richesse des ressources disponibles dans l’environnement permettait de vivre somme toute agréablement. « Mon mari et mon frère avaient une érablière, et ça coulait. C’était proche de la Baie Éternité, les caps nous protégeaient du vent et il y avait du soleil en masse. On faisait des feux pour bouillir l’eau, mais avec l’arrivée du Parc, on a plus eu le droit, ils nous disaient que le feu, ça maganait les feuilles ! On a racheté une érablière icitte en haut au village mais ça coulait pas la moitié de celle qui était en bas. »
À une époque, sur les terres qui appartiennent maintenant à la Sépaq, il y avait des chalets et une dizaine d’érablières en fonction. Le village et ses habitants ont été coupés de leur seul accès au fjord. Faisant preuve de la résilience qu’on leur connait, des liens semblent vouloir de nouveau se tisser entre le Parc et la communauté.