Jacqueline Dallaire, une vie avec des coureurs des bois.

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Jacqueline Dallaire est née le 23 juin 1935 à L’Anse-Saint-Jean. C’est la fille de Louisiane Martel et d’Horace Dallaire. Elle a vécu toute son enfance sur le chemin des Côteaux. « J’ai été obligée d’abandonner l’école à l’âge de 13 ans, ma mère avait besoin de moi. J’étais la première fille et il fallait que je l’aide, elle avait des petits bébés, des jumeaux. J’étais bien contente de rester à la maison. Je les ai bercés en masse les petits jumeaux ! J’avais 7 frères et une sœur plus jeune. C’est quand le 2e couple de jumeaux est arrivé que je suis restée à la maison aider maman ! »

« Mon père, Horace, il a eu une première femme, une certaine Aimée St-Pierre. Elle est décédée jeune mais ils avaient déjà eu 5 enfants. Il vivait à la pointe dans ce temps-là et quand il montait sur les côtes, c’était à pied. C’est comme ça qu’il a connu ma mère, en montant sur les côtes. Ils se sont mariés et ils ont eu 9 enfants. Ma mère en avait rien que 2 de la première famille, Roland et Simone, les autres, ils avaient été donnés, deux à madame St-Pierre et le dernier a été élevé à Rivière-Éternité, se souvient Jacqueline. »

« Nous autres, on avait une terre sur les côtes mais c’est Roland, le garçon le plus vieux, celui du premier mariage, qui s’en est occupé. Mon père, lui, c’était dans le bois qu’il était bien ! »

Horace c’était un vrai, un raconteux et il faisait rire le monde avec ses histoires de bois.

Quand Horace Dallaire partait trapper sur le territoire, il restait 15 jours de temps dans le bois. Il avait deux chiens, avec deux grosses traines, il les remplissait et il partait. Il se faisait donner son lard salé par sa femme Louisiane, des beans et dans le bois, il prenait du lièvre, des perdrix, de la truite. Horace avait des petits camps qu’il s’était construit un peu partout dans l’arrière-pays et il disait qu’il pouvait en manger tous les jours de la viande de bois, tellement qu’elle était bonne !

« Mon père, c’était un chasseur et puis un trappeur. J’en ai vu des bêtes à la maison. Il les plumait et les mettait sur des fûts pour les étendre et les faire sécher. Il y avait des castors, des martres, des visons, du pécan, du loup cervier, des chats sauvages, des renards. Elles allaient toutes pour des pelleteries, pour faire des manteaux. C’est un monsieur de Montréal qui venait les acheter, un juif syrien je crois. »

Le père de Jacqueline gagnait bien sa vie comme ça. C’était un vrai coureur des bois qui savait aussi faire de belles raquettes en babiche. « Mon père a perdu son père à l’âge de 11 ans. Tout ce qu’il a appris, c’est en allant dans le bois avec les Moreau. Il a marché beaucoup avec un gars qu’il appelait Ti-Édouard Moreau, un sauvage comme il disait. Pour faire ses raquettes, je me rappelle il prenait de la peau de vache, il la taillait, la faisait tremper, fabriquait un patron, c’était beau de le voir travailler ! Il a voulu le montrer à ses fils mais ils n’ont pas appris la technique, c‘est de valeur ! Beaucoup de gens à L’Anse venaient lui en acheter de ses raquettes ! »

Horace c’était un vrai, un raconteux et il faisait rire le monde avec ses histoires de bois. Il est mort à l’âge de 97 ans et a toujours été en forme. Jacqueline ne se rappelle pas l’avoir jamais entendu dire qu’il s’était faite mal ou qu’il avait été mal pris dans le bois ! Il n’avait jamais peur, même pas des loups quand ils se rassemblaient !

Jacqueline ne se rappelle pas non plus avoir vécu de la misère : « On a été élevés sur une ferme et on a tout eu ce qu’on voulait, on mangeait bien, on avait des animaux. La ferme, quand j’ai été assez vieille, je m’en suis occupée aussi, des cochons, des vaches, des moutons pour la laine, des poules. Ma mère, elle était bonne des jardins, on avait toute ! On semait beaucoup de patates aussi, et puis je travaillais l’été sur les foins ! »  La mère de Jacqueline, Louisiane filait la laine, elle cardait, elle en envoyait aussi dans les filatures à Chicoutimi, mais quand elle ne faisait rien qu’un mouton, elle la cardait elle-même … et ça tricotait dans la maison ! Dans le temps, il y avait Pierre Anselme qui avait un moulin à foulon, au pied des côtes. Avec ça, il se faisait de la belle étoffe !

Jacqueline avec son voisin Narcisse Côté, celui-là même qui jouait de la bombarde

Et puis bien sûr, il y avait de grosses veillées sur les côtes, surtout dans le temps des fêtes, ça dansait des sets carrés pis ça jouait de la musique ! Les frères de Jacqueline étaient des musiciens, Raymond jouait du violon, Toussaint de la guitare et Jean-Pierre, lui, il jouait de la musique à bouche pis il sifflait ! Narcisse le voisin, il jouait de la bombarde, Jacqueline chantait, madame Mélanie et Horace, eux autres, ils racontaient des histoires !

Paul Lavoie devant son petit camp au lac à Minette

Avec un père comme ça, fallait s’en douter, Jacqueline s’est retrouvée à tomber en amour avec Paul Lavoie, un gars de bois. « Mon mari a toujours été chez les Price, il a travaillé un peu icitte mais en général il a été plutôt loin, sur la Côte Nord, à Pikauba, aux Passes dangereuses. Des fois il était 15 jours sans venir !

On a eu 4 enfants et en dernier, on a adopté une fille qui venait de Chicoutimi. Mes enfants, je les ai élevés pas mal toute seule. J’avais un grand jardin, là où il y a maintenant le parking des Plateaux. C’était vraiment de la belle terre ! J’avais tout ce qu’il fallait ! Les femmes s’organisaient beaucoup toutes seules à l’époque, chacune à son affaire ! De mon côté, j’avais appris jeune à m’occuper d’une maison ! »