
Afin de répondre à cette épineuse question, j’ai profité du Salon des Métiers d’Arts du SLSJ pour en discuter avec certains acteurs du milieu culturel. Allons tout d’abord à la rencontre de Julien Sylvestre* : « C’est une vraie question, et dans le fond la réponse revient à la personne elle-même, est-ce que je suis un artiste ou un artisan ? Des fois on est les deux ! Ce qui est certain, c’est que l’artisan a un savoir-faire particulier, travaille avec ses mains, notamment sur la transformation de la matière. Mais on peut se définir comme artisan et avoir une démarche artistique, il n’y a rien d’incompatible là-dedans ! Cela appartient beaucoup à la personne, cela dépend d’où est-ce qu’elle est rendue dans sa carrière ! Ensuite, le public peut dire lui c’est un artiste, elle c’est une artisane, mais la vraie réponse appartient à la personne. »
Et un boulanger, exerce-t-il un métier d’art ?
« Oui bien sûr, ce métier avant d’être enseigné dans des écoles, il s’enseigne souvent de maître à élève. C’est une des facettes des métiers d’arts, cette forme de transmission de maître à élève. Ainsi, je connais beaucoup d’artisans qui ont eu un coup de cœur pour le travail d’un autre artisan, qui développent une relation avec la personne. Historiquement, depuis des millénaires, ce sont des métiers qui sont transmis de maître à élève. »
La tradition versus l’innovation
Il est des discussions qui coulent comme une rivière, une question en amenant une autre. Ici la question de l’artiste ou de l’artisan nous amène naturellement à nous demander si la tradition versus l’innovation ne pourrait pas diriger le débat vers un début de réponse.
« L’une n’est pas opposée à l’autre et des pratiques que l’on dit traditionnelles, mettons quelqu’un qui travaille le textile – le tissage, cela fait tout de même des milliers d’années que sa technique est étudiée – on a donc aujourd’hui le geste, et une pratique la plus aboutie possible, que l’on nomme traditionnelle, mais qui en fait est le résultat, l’aboutissement de millénaires de recherches et développement, donc d’innovations. Même quand on parle d’innovations technologiques, souvent l’artisan se situe en amont, il va dire ton imprimante 3 D, elle ne me suffit pas, il me faut ça, ça et ça … d’une certaine façon, il initie ainsi le progrès et l’innovation. »
La cohésion sociale
La société québécoise s’est développée avec les artisans, créateurs d’emplois, créateurs d’outils, promoteurs de l’achat local bien avant la mode du XXIe, ils sont le fondement du développement du territoire et de la société. Julien Sylvestre le confirme : « L’importance des métiers d’arts dans les communautés, c’est ce qui nous lie humainement, c’est ce qui a fondé nos sociétés et c’est ce qui fait vivre et anime le Québec. Le rôle de l’artisan est fondamental et il faut l’entretenir. »
Au Québec, la plupart des artisans professionnels vivent en région. Il y a le calme et l’inspiration que l’on retrouve au milieu de la nature, mais il y a également les villes, en grandissant, qui ont tendance à expulser les artisans de leurs centres. Des entreprises qui génèrent du bruit, de la poussière ne conviennent pas toujours aux aspects résidentiels des centres-villes. Mais en 2024, on se reconnecte au travail des artisans, à l’achat local, ainsi au centre-ville de Montréal se dessine actuellement un quartier des artisans.
Pour Gabrielle Thériault, présidente de la Corporation des Métiers d’Arts du SLSJ, « un artisan est un créateur en métier d’arts, cette phrase démontre bien tout le travail qui se trouve derrière les produits qui sont exposés au Salon. Un artisan, le public l’associe parfois à artisanal, artisanat, donc c’est presque dévalorisant ou péjoratif. Pour faire un salon, il faut être membre de la Corporation des métiers d’arts, et pour devenir membre, on passe devant un comité de sélection, il y a des critères de qualité, d’esthétique, de processus de création, etc., donc ici au Salon de Chicoutimi, on a vraiment une représentation de créateurs en métiers d’arts. » Actuellement, la Corporation du SLSJ compte sur une cinquantaine de membres, « je me suis donnée une mission postpandémique, qui a été dure pour le métier, et c’est de recruter de nouveaux membres. »

Le mot de la fin ira à Aube St-Amant, agente de développement culturel à la MRC : « Selon moi, la différence entre artiste et artisan se situe dans la création d’un objet du quotidien. Généralement, c’est comme cela que l’on fait la différence, un artisan crée quelque chose qui est reproduit, même si chaque pièce est unique, il y a une méthode, il y a une reproduction au fur et à mesure dans un objectif généralement utilitaire. Avec l’artiste, on sera vraiment dans une démarche d’exploration de sa propre personne, de la société, une démarche qui va vers une œuvre qui transcende et te sort de toi-même, généralement assez déconnecté de l’objet matériel ou utilitaire. C’est la définition que l’on donne mais je trouve cela assez réducteur, de faire ainsi deux catégories. »