Il était une fois …
Les glaces s’étaient à peine emparées de la rivière Saguenay que déjà celle-ci démontrait son profond mécontentement par de fortes vagues faisant presque renverser l’embarcation et rendant le voyage si risqué. Jamais le jeune Joe ne se serait imaginé que les eaux puissent se montrer si impitoyables en ce début décembre, surtout pratiquement à l’abri de leur anse !
Tout ce qu’il avait dit à sa mère avant son départ, c’est qu’il s’ennuyait beaucoup de sa grand-mère qui demeurait pas très loin, au bord du grand lac, et à qui sa jeune sœur Berthe et lui souhaitaient aller rendre visite avant de revenir à la maison le lendemain. En ce moment, il regrettait sa témérité en voyant l’air apeuré de sa sœur dans le chaland.
Redoublant de courage et reprenant en main les rames qui lui avaient échappé, il mit le cap sur la grande anse à la forêt dense. « Quelle drôle de forme pour une anse, se dit-il, on dirait presque qu’elle forme une croix avec le bras de la rivière » Mais ce n’était vraiment pas le temps de penser à ça ! Enfin, Berthe et lui accostèrent près du ruisseau. Un endroit qu’il connaissait bien puisqu’il venait par beau temps y pêcher de la délicieuse truite.
« Aide-moi à tirer le chaland Berthe, pour ne pas qu’il soit emporté et sors les raquettes. N’oublie pas non plus le sac avec les cadeaux pour grand-maman ». Ils étaient si fiers de leurs cadeaux ! Ils y avaient mis tout leur cœur.
Chaussant raquettes et ajustant foulards et mitaines, ils entreprirent de longer le ruisseau qui menait au grand lac. Heureusement, il n’y avait pas encore beaucoup de neige au sol de sorte qu’ils avancèrent d’un bon pas, animés qu’ils étaient par le plaisir de revoir leur grand-mère.
Après quelques heures de marche, Joe et Berthe arrivèrent au sommet d’une colline et admirèrent ce qui s’offrait à leurs yeux : un immense lac pas encore assez gelé pour que l’on puisse s’y promener et quelques maisons aux cheminées accueillantes bâties en surplomb.
« Il paraît qu’on l’a nommé Otis en l’honneur d’un curé ou plutôt d’un abbé, je crois. C’est du moins ce que m’a raconté grand-maman », dit Berthe à son frère en reprenant son souffle. « Moi, il m’impressionne chaque fois que je le vois d’ici », répondit Joe.
Le frère et la sœur se remirent en marche en direction de la maison de leur grand-mère. Comme ils ne pouvaient pas marcher sur le lac sans risquer de tomber dans l’eau glacée, ils le contournèrent et arrivèrent rapidement au sommet de la côte où l’on apercevait l’église et son clocher entourés de maisons illuminées.
Quelle ne fût pas la surprise de grand-maman Rita d’apercevoir ses deux petits-enfants sur son perron, les joues rougies par le froid et les ventres criant famine. « Venez, venez. Je viens tout juste de cuisiner une bonne soupe aux pois et un ragoût de porc. Vous devez être affamés après cette longue marche en forêt », leur dit grand-mère un grand sourire aux lèvres.
Les enfants se dépêchèrent de se mettre à table et mangèrent avec appétit. « Grand-mère, comme Noël approche, on a pensé te faire un cadeau et venir te le porter ».
Devant les yeux excités de Joe et Berthe, grand-maman Rita ouvrit le sac et y découvrit deux magnifiques étoiles sculptées dans le bois sur lesquelles étaient gravés les noms de ses petits-enfants. Voilà des cadeaux qui auraient désormais une place de choix dans l’arbre de Noël, se dit-elle en serrant ses deux amours dans ses bras.