Voyant l’immense potentiel des ressources forestières de la région du Saguenay pour alimenter l’important commerce du bois qui s’est développé au pays depuis le début du 19e siècle, Alexis Tremblay, dit Picoté, et Thomas Simard créeront, en 1837, avec d’autres citoyens influents de la Malbaie, la Société des entrepreneurs des pinières du Saguenay, connue plus tard sous le nom de Société des Vingt-et-Un[1].
Dès 1838, la Société installera ses premiers moulins à scie aux confluents de la rivière Saguenay et ses tributaires, notamment à l’Anse aux Petites-Îles[2], à l’Anse Saint-Jean, à l’Anse au Cheval[3] et à l’Anse aux Cailles[4] suivi de Grande Baie[5] et Saint-Basile-de-Tableau[6]. À la même époque, un dénommé Bouchard établira une scierie à l’Anse à Pelletier[7]. La société sera dissoute en 1843 et les actifs seront vendus à William Price and Company[8]. Déjà propriétaire de la scierie de l’Anse à L’Eau à Tadoussac, Price poursuivra l’exploitation des forêts du Bas-Saguenay avec l’installation de scieries à l’Anse du Petit-Saguenay (1844)[9], l’Anse à la Croix (1847)[10], sur la rivière Sainte-Marguerite (post 1849),[11] en bordure de la rivière à Mars (1872)[12] et à l’Anse Saint-Étienne (1882-1883)[13].
Le corridor fluvial de la rivière Saguenay, voie de transport et source énergétique, constituera l’épine dorsale de cette vaste entreprise. Certains aménagements seront actionnés à la vapeur[14] alors que d’autres, profitant d’un débit d’eau suffisant, privilégieront la roue à eau. À ceux-ci sera jumelée une grande variété d’équipements évoluant avec les technologies et adaptés au type de bois d’œuvre ou bois de pulpe à réaliser.
Les ravages du Grand Feu de 1870 et la crise économique qui a suivi l’effondrement de la bourse de Vienne en 1873 frappèrent durement le commerce du bois au Québec. La scierie de Grande-Baie sera mise en vente en 1894[15]. La scierie de Saint-Fulgence sera liquidée suivant la mort d’Evan John Price en 1899[16]. Celle de Saint-Étienne, pour sa part, sera détruite par le feu en 1900[17]. Certaines, comme la scierie Georges-Abel-Tremblay[18] et la scierie Thibeault de l’Anse Saint-Jean[19] survivront et sont toujours en fonction. D’autres sites de scieries, dont ceux de l’Anse au Cheval et la rivière Sainte-Marguerite[20] connaîtront une renaissance au début du 20e siècle. Finalement, plusieurs scieries seront détruites et abandonnées aux vicissitudes du temps.
Des inspections visuelles réalisées entre 1990 et 2008 ont permis de repérer plusieurs vestiges des anciens moulins, dont ceux de Saint-Basile-de-Tableau, l’Anse au Cheval, l’Anse Saint-Étienne, la rivière Saint-Marguerite, Baie Éternité et le moulin de 1841 de Petit-Saguenay[21]. S’il est difficile d’estimer le nombre de sites restants aujourd’hui, tout porte à croire que le potentiel de retrouver des traces archéologiques enfouies des anciennes installations demeure non négligeable, malgré leur état de dégradation apparent. Dans ce contexte et compte tenu de la valeur identitaire de ce patrimoine pour les municipalités qui se sont greffées à ces industries, la protection et la documentation de ces ressources fragiles avant leur disparition complète apparaît comme une priorité incontournable.
[1] Lalancette, Mario, 2003-, « TREMBLAY, Picoté, ALEXIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003–, http://www.biographi.ca/fr/bio/tremblay_alexis_8F.html (Page consultée le 20 oct. 2021).
[2] Bernier, M-A., 2001a, Prospection subaquatique, Parc marin du Saguenay/Saint- Laurent, 2000. Parcs Canada, p. 40-43; Bernier, et al, 2008, Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, Inventaire des ressources culturelles submergées, Service d’archéologie subaquatique, Centre de service de l’Ontario, Parcs Canada, p. 102-103.
[3] Bernier et al, 2008, op.cit. p. 103.
[4] Bernier et al, 2008, op.cit. p. 119-122.
[5] Gagnon, J., 2003, Le déclin de l’industrie du bois de sciage à Chicoutimi et au Saguenay à la fin du XIXe siècle, Saguenayensia, vol 45, no 03, juillet-septembre 2003, p. 8.
[6] Bouchard, R., 2006, Saint-Basile-du-Tableau une scierie, un quai, une chapelle. Saguenayensia, vol 48 (juillet-septembre), p. 22; Bernier et al, 2008, p. 112-113.
[7] La scierie sera acquise par William Price en 1848 (Lavoie, R., 2013, Les scieries de l’Anse à Pelletier, Saguenayensia, vol 55, no 02, 2014, p 39).
[8] Archives nationales du Québec, Dossier 104, p.4, fonds Victor Tremblay, Chicoutimi, tiré de Arthur Maheux, William Price et la compagnie Price, vol. 1, Price Brothers and Co. Ltd., Québec, 1954.
[9] Bernier, et al, 2008, op. cit., p. 117-118.
[10] Bernier, et al, 2008, op. cit., p. 122.
[11] Bernier, M-A., 2002, Prospection subaquatique 2001, Parc marin du Saguenay/Saint-Laurent, p. 57.
[12] Potvin, Steve, 2006, Site patrimonial de la Scierie-Georges-Abel-Tremblay. Vue d’ensemble, Répertoire du patrimoine culturel du Québec. La scierie fut citée « Site patrimonial » le 2005-02-22.
[13] Gagnon, 2003, op.cit., p. 8; Bernier et al, 2008, op.cit., p. 107.
[14] La machine à vapeur peut être stationnaire ou mobile. Si les moulins à vapeur ont besoin d’eau pour les bouilloires, leur proximité des rivières s’explique davantage par l’utilisation des cours d’eau pour l’acheminement des grumes de bois.
[15] Gagnon, 2003, op. cit., p. 11.
[16] Gagnon, 2003, op. cit., p. 12.
[17] Gagnon, 2003, op. cit., p. 12.
[18] Potvin, op.cit.
[19] Hauchecorne, Cécile, 2017, Les moulins à scie au temps du syndicat, https://fjordsaguenay.ca/ moulins-a-scie-temps-syndicat/
[20] Le moulin à scie de Sainte-Marguerite, aussi nommée Bay Mill, a opéré de 1909 à 1920 (Bernier, et al., 2008, op.cit., p. 93-99).
[21] Bernier, 2001a, 2002 et 2008, op. cit.; Langevin, É.,1993a, L’archéologie au Saguenay-lac-St-Jean : Rétrospective et Prospectives, vols.1 à 3, Laboratoire d’archéologie, Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi; Langevin, É., 2000b, La scierie de l’Anse-au-Cheval : ce qu’elle fût, ce qu’il reste. Saguenayensia, 42(juillet-septembre), p.c. 03;