En arrivant sur le rang double à Ferland-et-Boilleau, on passe par la ferme biologique du Jardin des Défricheurs, une construction en chanvre à côté d’une mini maison et d’une vieille étable en rénovation, une maison écologique en construction et un moulin à scie ronronnant au loin annonce que la tradition forestière du lieu est encore bien vivante. Mais c’est quand on prend le temps de s’arrêter que la sensation de débarquer dans une grande famille tissée serrée devient une évidence.
Joelle Lavallée, propriétaire depuis un an d’un terrain sur lequel elle construit, entre autres, un atelier en chanvre me sert de guide. C’est au Nunavut, où elle a passé 13 années, qu’elle entend pour la première parler de Ferland-et-Boilleau et de son rang double.

« La vieille étable que Joelle est en train de rénover au 1083, c’est celle qu’avait bâti avec son frère mon grand-père Lauréat Ouellet quand il est arrivé à la fin des années 30 sur le rang pour y élever sa famille. À cette époque, le ministère de la Colonisation donnait des terres à condition de défricher un certain nombre d’acres par année. Avec sa femme Brigitte Morin, ils ont eu 20 enfants ! » raconte Claude Ouellet qui projette de se bâtir un atelier habitable sur une parcelle de 5 acres de terre que Laval Gilbert lui a cédée.

Laval Gilbert, c’est l’ami d’enfance de Claude. Ils ont fait leur secondaire ensemble à Chicoutimi pour se rendre compte un beau jour que leurs parents avaient été élevés sur le rang double ! Sur un de ces deux lots, Laval a fait construire une maison scandinave avec les épinettes qui viennent de la terre de son grand-père, et depuis qu’il a décidé d’y passer sa retraite avec sa femme Marianne, il a fait une rallonge en paille avec l’aide son cousin, Pierre Gilbert du GREB. L’année dernière, il a donné une parcelle de 5 acres, cette fois à sa fille Isabelle qui se construit actuellement une maison écologique avec son conjoint Alex.
Et tout ce beau monde s’entraide, s’échange des outils, des savoirs, du temps. Laval Gilbert explique : « L’espace, le territoire, l’amour de la forêt, ce sont des valeurs qui nous tiennent à cœur et qui font que ça se passe bien. Bien sûr, il y a également l’esprit communautaire et l’entraide, présents au quotidien. »

Tout ceci se confirme quand Alex et Isabelle m’énoncent leurs motivations à venir s’installer sur le rang. C’est après 10 semaines passées ici, au début de la pandémie, que leur choix se fait. « On voulait se bâtir une maison écologique, avec le moins d’impact possible sur l’environnement. La maison exposée sud sud-est avec du solaire passif, une masse thermique de béton en bas, des murs de paille à l’étage, un toit végétal, une serre d’abondance qui devrait être installée l’an prochain, tout cela c’est le résultat d’une année de discussions parfois très animées. Il fallait regrouper nos deux visions. Pour Isabelle, il est important d’utiliser des matériaux écologiques et pour moi, c’est la résilience et l’autonomie qui guident mes choix » explique Alex, le regard fatigué mais fier de son été. C’est beaucoup de travail mais ça développe un réel sentiment d’appartenance avec ce bois qui vient des terres du grand-père à Isabelle, chaque morceau a une histoire ! Le fait d’être bien dans cet environnement qui ressemble à nos valeurs, ça fait qu’on a envie de s’impliquer dans la communauté aussi. D’ailleurs, quand on a décidé de venir à Boilleau, je suis devenu pompier volontaire. »
« En cherchant des arbres pour construire la maison, on est arrivé dans une talle de beaux pins rouges, et mon père m’a dit : je me rappelle j’étais avec mon père quand il les a plantés, j’avais 5 ans ! Maintenant quand je plante des arbres, je me dis que peut-être un jour je les couperai pour la maison de mon enfant ! poursuit Isabelle qui ne voit que des avantages à s’installer proche de ses parents. On peut partager, s’entraider, le bois on le fait à deux, on est en processus d’acheter une voiture électrique communautaire, le tracteur est à mon père, le moulin c’est à nous, la motoneige est à mon père, côté dépense c’est très avantageux. »

Sur le retour, Joelle m’explique qu’au Jardin des Défricheurs, il y avait une quinzaine de planches de libres. Du coup, la propriétaire Joëlle Gagnon les a mises à la disposition de ceux qui le désiraient. « C’est devenu le jardin communautaire du rang double ! »
Le rang double en 2020… Le même dans les années 50 !
Mais au fait, pourquoi le rang double ?
Celui que l’on nomme le rang double, c’est en fait le rang Edmour Lavoie. À Ferland-et-Boilleau, il y a deux rangs, le rang double et le rang simple. Le rang double, c’est parce qu’il y a des terres de chaque côté du rang, tout simplement, alors que le long du rang simple, il y a la rivière HaHa!, il y a donc des terres seulement d’un côté.
Mystère résolu !