Madame Lucette, 86 années d’une vie bien occupée

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Madame Lucette est née en 1932 dans St-Antoine. Elle est la première d’une famille de 12 enfants. Simone Houde, sa mère, c’était la fille à Hermas Houde. « Au début on est restés là, chez mon grand-père. Mon père, Wilbrod Gaudreault, avait bâti une maison mais on n’a même pas eu le temps de rentrer dedans qu’elle est passée au feu ! »

La petite Lucette a commencé ses classes à l’âge de 6 ans. Dans cette école de rang, il y avait 42 enfants dont 13 qui débutaient, comme Lucette. « C’était quelque chose, la maitresse était maline, elle nous tapait avec une strap de cuir ! On était trois assis sur le même banc … pas drôle de pas parler ! »

Pour se rendre à l’école, la jeune enfant faisait un mile et quart à pied ! « Oui, un peu plus de 2 kilomètres, un moyen boute pour une petite fille de 6 ans. Je me rappelle, juste avant d’arriver à l’école, il y avait une madame qui avait une fille de mon âge, elle nous arrêtait pour qu’on vienne se réchauffer dans sa maison. On n’avait pas de culotte dans ce temps-là, pas de pantalon ! Mais moi la première année, j’ai souvent été chez mon grand-père Hermas, il avait une fille qui avait juste 2 ans de plus que moi, on restait ensemble une partie de la semaine. Il restait sur la grande route et je m’en allais chez nous en fin de semaine. »

Comme c’était l’aînée de la famille, Lucette se retrouvait toute seule sur le chemin de l’école. « Quand les garçons sont venus avec moi, c’était moins pire, on y allait en chien. On n’avait pas l’autobus nous autres ! On n’a pas été gâtés ! À c’tte heure, ils sont trop protégés les enfants … mais ils sont fins par exemple ! » s’exclame madame Lucette.

À 13 ans, Lucette arrête l’école pour aider sa mère qui attendait son 6e enfant ! « J’aimais ça l’école. En fait, j’aimais surtout ne pas avoir besoin de travailler à la maison. Madame Adislas Côté, elle s’appelait Martine, mais dans ce temps-là, on disait le nom du mari, c’est elle qui m’a appris à tisser, à monter le métier. On faisait toute chez nous, les chemises pour les hommes qui allaient travailler, les culottes d’étoffe. On cousait avec un moulin à pédale, pas d’électricité ! »

Quand elle a eu des sœurs assez vieilles pour aider sa mère, Lucette partait relever ses tantes comme on disait, les aider quand elles avaient un bébé ! « Je me rappelle que chez une de mes tantes, on était 15 dans la maison. Avec 12 enfants, on manquait pas d’ouvrage. Et ça me donnait 30 piastres par mois ! Je peux vous dire que je n’avais pas de misère à m’endormir le soir ! »

Quand je suis sortie de l’école à 13 ans, je pesais juste 70 livres mais on manquait de rien par exemple. Maman faisait de la bonne cuisine, elle préparait des tartes, on allait aux framboises, aux bleuets, aux fraises. Mais une enfance, parfois j’ai l’impression de ne pas en avoir eue une ! J’étais la première de la famille mais j’ai aimé beaucoup ça pareil. Mon frère le 7e, c’était mon bébé. J’y cousais du linge, je le berçais, j’en avais soin. Pis à 18 mois il est décédé d’une méningite. Ça a été difficile. »

À cette époque, juste certaines denrées comme la mélasse, la farine, le sucre, le beurre de peanuts ou les sardines arrivaient par bateau de Québec. Pour le reste, les familles s’organisaient avec ce qu’elles avaient, cultivaient, élevaient ou fabriquaient. Tous les automnes, les enfants recevaient leur dose d’huile de foie de morue, c’était les vitamines pour passer au travers de l’hiver.  Et si l’un d’eux avait une toux, il se faisait des sirops avec de la mélasse, du beurre et du jus de citron. On le faisait bouillir un peu et on rajoutait du poivre.

Comme moments féériques de son enfance, Lucette se rappelle de très beaux Noël, la petite neige, les clochettes qui entouraient le col des chevaux et qui rythmaient le trajet quand ils descendaient tous ensemble pour écouter la messe de minuit, bien emmitouflés dans des grosses peaux de carriole.

« Quand le 12e enfant de la famille est venu au monde, j’avais 21 ans et je venais de me marier. Mon mari, Cyrille Boudreault, je l’ai rencontré dans le bois, en allant faire la cuisine dans les camps, sur la montagne du petit bras, en arrière de la ferme de mes parents. Lui il restait à St-Étienne et moi à St Antoine, alors je ne l’avais jamais vu auparavant. »

Les jeunes mariés sont allés vivre chez les beaux-parents, François Boudreault et Isabelle Martel. « C’était pas facile, quand je suis rentrée là, on était 6 dans la maison, il y avait aussi deux des frères à Cyrille. La belle mère est décédée le printemps suivant le mariage mais je suis restée 11 ans avec le beau-père ! »

« Un hiver dans le bois avec les enfants, ça n’avait rien d’extraordinaire dans ce temps-là, poursuit madame Lucette. On montait du linge avec nous, pis on en avait soin. On revenait aux fêtes des fois. Les hommes, ils descendaient plus souvent, mais nous les cook, on restait sur place.

Ensuite vient la période du fameux dépanneur que Lucette a gardé 23 années. « J’étais tannée d’aller dans le bois, alors j’ai ouvert ce dépanneur. Des fois, le monde ils cognaient à 11 heures le soir chez nous pour avoir du manger ! Ça ne me dérangeait pas. Je n’ai jamais donné de nom à ma boutique et les habitants du rang, ils disaient qu’ils allaient Chez Madame Lucette ! »

L’épicerie avait sa licence de bière, un juke-box et les jeunes venaient souvent veiller ! « Ma fille, c’est comme ça qu’elle a rencontré son chum. » Il y avait aussi un poste de gaz. Dans ce temps-là, on avait un galon pour 58 cents !

« Quand j’ai fermé le dépanneur, on est venus ici au village et là, j’ai travaillé au club saumon de l’Anse avec ma sœur, là où se trouve le Bistro actuellement. On faisait la cuisine, on se servait du four à pain dehors. »

Madame Lucette s’est également beaucoup impliquée dans sa communauté, avec la présidence de l’Âge d’Or, les Fermières, le Conseil municipal. Il n’y a pas de doute, pour pouvoir rendre hommage comme il se doit à toutes les actions et expériences de vie de cette femme pleine de vitalité, il faudra lui consacrer un autre article. En attendant, merci madame Lucette de nous partager vos belles idées sur la beauté de la vie !