La mémoire, c’est l’âme du village !

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La toponymie, c’est à dire les noms qui désignent les lieux, a beaucoup à voir avec la tradition orale. Tous ces noms nous font découvrir une région à travers des récits qui parfois deviennent des légendes. En plus des noms de village, de hameaux ou de plans d’eau, on retrouve aussi sur le territoire ce qu’on appelle des lieux-dits, qui peuvent désigner un champ, un détour, une forêt ou un marais. Transmis de génération en génération, ces noms relient les gens entre eux, les rassemblent un peu comme le ferait une soirée autour d’un feu. Le langage particulier à chaque village devient ainsi le fil conducteur d’un réel sentiment d’appartenance.

Le détour de la Dalle, la Boîte à sauvages, le Cabanage, le lac Caille, la Côte de terre noire, Pis-Sec, Saint-Fiacre, le Coin des routes, la Côte terre forte; s’intéresser à tous ces noms qui embellissent l’histoire du Bas-Saguenay, c’est un peu comme récolter les essences d’une mémoire encore bien vivante. Et le fabuleux de tout cela, c’est qu’il n’y a pas de vrai, ni de faux, personne n’a tort ou raison, il y a juste des phrases qui vagabondent au fil des histoires qui sont racontées.

Un lieu est nommé et l’histoire ne fait alors que commencer ! Prenons l’exemple de la fosse La Poussière sur la rivière Petit-Saguenay. D’où tire-t-elle son nom ? On a trouvé de l’or, de la poussière d’or à cet endroit ? Il y avait des moulins à scie dans le coin ? Ou bien ce sont les rayons du soleil qui se jettent dans l’eau ? Certains racontent qu’à la fosse de La Poussière, quand le soleil se lève à travers les arbres, on voit les rayons pénétrer dans l’eau comme de véritables chemins de lumière. C’est alors que, dans cette eau peu cristalline, l’on aperçoit soudain comme de la poussière.

Un lieu est nommé et l’histoire ne fait alors que commencer ! Prenons l’exemple de la fosse La Poussière sur la rivière Petit-Saguenay.

La boîte à sauvages est sans conteste le lieu-dit qui a permis de récolter le plus de versions différentes. Tout le monde sait à peu près qu’elle se situe à la sortie de Rivière-Éternité en allant vers Saint-Félix-d’Otis, au hameau qu’on appelle aussi Hébert, et si on dit encore de nos jours : « tu restes dans le boute de la boîte à sauvages ! », l’origine de son appellation reste sujet à multiples interprétations.

Certains parlent de cabanes construites rapidement sur le bord du chemin, d’autres d’une maison abritant des âmes égarées aux mœurs légères. Tout en continuant l’enquête, la piste se précise : « La Pointe sauvage, j’ai souvent entendu dire La Pointe sauvage mais La boîte à sauvages, ça je ne l’ai jamais entendu. Tu devrais demander à Rémi Gagné, le maire de Rivière-Éternité, lui il doit la savoir l’histoire ! »

Laissons donc la parole au premier magistrat du village : « Quand les premiers colons sont arrivés à Rivière-Éternité, il y avait des indiens qui demeuraient au grand lac Éternité, et ils avaient installé une boîte pour le courrier le long du chemin. D’ailleurs, quand ils ont fait le tournage du film Robe Noire, la tente d’indiens était justement sur le bord du grand lac Éternité … un endroit magnifique ! »

L’histoire se confirme avec l’arrière-petit-fils du postillon Charles Côté. Ce dernier, qui a marché jusqu’à l’âge de 93 ans, faisait l’aller-retour Petit-Saguenay-La Baie à pied toutes les semaines. « Il passait la malle dans les années 1930, 1940, au début de la colonisation de Rivière-Éternité, et il s’arrêtait à la boîte à sauvages. »

Il faut savoir prendre le temps si on veut connaître le fin fond d’une histoire. Au moment des explications, les détours sont souvent de mise. Ainsi, il en va de même au sujet de Pis-Sec, un lieu-dit de Petit-Saguenay. « Anciennement ici c’était des rangs, et t’étais toujours au bout d’un rang. T’avais le rang Saint-Joseph qui faisait le village jusque chez nous, en haut de la côte. Le chemin Saint-Louis qui passait de l’autre bord de la rivière. Il y avait un pont couvert dans le temps. Pis après ça y’avait Saint-Antoine qui décollait d’un bord, pis Saint-Étienne de l’autre, mais ils rentraient pas à la même place. Et Saint-Marc, c’est juste après Saint-Antoine. Là on appelait ça Pis-Sec, c’est parce que ça poussait pas, les vaches donnaient pas de lait, la terre c’était rien qu’du sable ! »

À Petit-Saguenay, historiquement il était bien rare que l’on appelle les rues par leur nom. On dira plutôt : « De l’autre bord de la rivière; de ce côté citte du pont; du côté de l’église; la petite rue; la vieille côte; la côte neu’; la Coulée. » Faut dire que les pancartes manquent terriblement de poésie. Avant la rue du Quai s’appelait le Chemin de la mer. Il y avait même trois places qu’on appelait la mer à Petit-Saguenay, la mer du village, la mer de la Grosse île et la mer de Saint-Étienne.

Du côté de L’Anse-Saint-Jean, on arrive toujours par le Coin des routes, qui se trouvait avant au niveau de la rue du Coin justement. Celle que l’on nommait alors la route 16 était faite de sable, une vraie planche à laver, ceux qui l’on empruntée s’en souviennent ! Cela prenait 3 heures pour se rendre à Chicoutimi. En 1959, la 170 a remplacé la route 16 et en a modifié le tracé, mais l’appellation du Coin des routes, elle, n’a pas bougé.

Le quai de L’Anse-Saint-Jean à l’époque des goélettes.

En allant vers le fjord, sur les hauteurs, il y a une place qu’on appelle Saint-Fiacre. En 1930, au moment de la crise, plusieurs habitants de L’Anse-Saint-Jean auraient reçu des lots dans ce coin-là. Aucune habitation n’est construite, mais les nouveaux propriétaires y faisaient du foin, des jardins ou du bois de poêle pour leur propre compte. Sur certains lots, il y avait aussi des lacs où l’on pouvait pêcher de belles truites. Il faut dire qu’à ce moment-là, beaucoup de territoires étaient sous la gouverne de la famille Price. Après avoir travaillé dur pour la défricher, il s’est avéré que la terre était bonne pour la culture. C’est peut-être pour cela qu’on appelle cette partie du village Saint-Fiacre, le patron des jardiniers.

Et sur le bord du fjord, là où les tentes du camping municipal s’installent chaque été, il y avait des champs et bien droite face au fjord, une vieille grange du rang St-Thomas y avait été déménagée, puis rénovée. « On appelait cet endroit le Beauvoir. C’était une place où les gens du village se retrouvaient, les anciens jouaient aux cartes, les jeunes venaient fêter, dans ce temps-là tout le monde se retrouvait ensemble. On fêtait la Saint-Jean, il y avait des chansonniers à une époque, et même du théâtre. L’Anse-Saint-Jean était une place réputée pour ses veillées au bord du fjord ! »

Et les chenaux au bout de Périgny, ça vient d’où ce nom ? Voici l’occasion de prendre un petit cours de grammaire : « Les chenaux … pluriel de chenail ! C’est toutes des petites chutes en cascades avec un dénivelé assez haut qui se trouvent dans le coin de la première grosse côte. Les chenaux, ça commence après la dernière maison située dans le rang de Périgny, et maintenant, ça s’est étendu à tout le territoire qui est en arrière de ça. »

Si certains lieux-dits ont plusieurs histoires, ici on a à faire à un même endroit qui a connu plusieurs noms. À une époque à L’Anse, tous ceux qui travaillaient dans le bois avaient juste trois places où ils pouvaient échanger le fruit de leur labeur contre des denrées de subsistance. « Le curé Bouchard n’aimait pas que le bois, on soit obligé de le vendre à Oscar Boudreault, Édouard Harvey ou Arthur Bouchard ! C’était les seuls qui fournissaient la mélasse, le sirop, la farine au village. Alors le curé il a fondé le syndicat ! » et c’est ainsi qu’à une époque, quand on allait sur les chenaux, on disait plutôt qu’on allait sur le syndicat !

La route 16 traverse Saint-Félix-d’Otis, une municipalité qui ne manque pas d’eau.

Les lacs ont également tendance à changer de nom. À Saint-Félix-d’Otis, une municipalité qui ne manque pas d’eau, le lac Otis s’est déjà appelé le lac Caille. Il est paraît-il des automnes où il était blanc. : « Il y avait des oiseaux, un peu comme des perdrix, des perdrix blanches, il y en avait, c’était une affaire terrible. Le monde s’en chassait pour l’hiver. Et le lac des Îles, en réalité il s’appelle le lac Azot ! Nous les affaires qu’on te dit là, c’est des histoires vécues. Les perdrix blanches, c’est mon père qui m’a conté ça. »

Pour conclure ce voyage, restons si vous le voulez bien dans cette partie du territoire avec le petit Lac Saint-Jean, que l’on rejoint du haut des chenaux, juste après la savane, en suivant la rivière de la Catin. Le petit Lac Saint-Jean, c’est bien ainsi que le majestueux lac Brébeuf s’appelait avant, et comme elle y prend sa source, il paraitrait qu’il aurait même donné son nom à la rivière Saint-Jean.

Les noms de lieu évoluent constamment et font partie de notre mémoire vivante. Avant l’arrivée des premiers explorateurs, plusieurs de ces lieux que nous habitons aujourd’hui avaient déjà une appellation autochtone. Comme le relate par exemple notre dossier précédent sur l’histoire de la présence autochtone au Bas-Saguenay, la rivière qui se jette dans l’Anse Brise-culotte à Petit-Saguenay portait à l’époque le nom de Ouatapimiscou, qui désigne « une espèce de cabane à castor ». Plusieurs autres noms de rivières et de lacs d’origine amérindienne figurent ainsi sur les premières cartes. Là aussi, les histoires devaient être innombrables, mais se sont malheureusement perdues avec le temps.

Comme on peut le voir, la mémoire vivante est bien ancrée dans la toponymie du Bas-Saguenay. Le travail effectué dans le cadre de ce dossier n’est pas exhaustif et les versions quant à la désignation des lieux semblent varier énormément. Vous êtes donc chaleureusement invités à poursuivre avec nous l’aventure, en nous envoyant vos propres histoires qui pourraient nous aider à mieux comprendre le nom des lieux, par courriel au redaction@fjordsaguenay.ca ou sur notre page Facebook. Vos histoires nous aideront à cartographier l’histoire orale de notre belle région et à perpétuer la mémoire des anciens.

Merci à Georgette Bouchard, Élias Côté, Joël Côté, Jérémy Gagné, Nancy Gagné, Rémi Gagné, Richard Gagnon, Léon Houde, Dany Thibeault, Jean-Marie Thibeault, Fernande Tremblay, Ita et Réginald Waltzing. La réalisation de ce dossier n’aurait pu se faire sans votre précieuse collaboration.