Monsieur Magella Lavoie, la force tranquille d’un bâtisseur.

1704

Né le 24 octobre 1927 dans la maison de ses parents, Vilmont Lavoie et Blanche Fortin, à Ferland, Magella Lavoie vient de fêter ses 95 ans très bien entouré. Aux alentours de chez lui, sur la route 381, pas moins de 10 maisons sont occupées par ses enfants et petits-enfants.

Blanche Fortin et Vilmont Lavoie, les parents de Magella.

« Mon grand-père Béniti, qui avait alors déjà 8 garçons et 3 filles, est arrivé ici en 1901 avec son père Gilbert Lavoie. Ensemble, ils ont bâti le premier moulin à scie de Ferland sur une chute de leur lot, le 40. C’est une des premières familles à s’installer dans le vieux Ferland, le boute est juste ici, à côté de la maison. Dans le temps, il y avait une grosse auberge et le monde, quand ça traversait le petit parc par la vieille route, il stationnait ses chevaux là, il couchait un soir, pis il traversait le lendemain », se rappelle très bien monsieur Magella.

Celui qui a eu 4 frères, 4 sœurs est allé jusqu’en 6e année à la petite école de rang pas loin de chez eux. Il revenait dîner à la maison le midi. « J’ai faite ma 6e année. Je voulais retourner pour ma 7e, mais la maîtresse a pas voulu parce que j’étais le seul. Alors je me suis mis à travailler. On prenait des petits chantiers et on restait dans de petits camps quand j’ai commencé pour des compagnies à 16 ans, mais avant je travaillais chez nous, sur la ferme. »

Magella trouve le monde bien changé, il est surtout impressionné par la montée en flèche des salaires. « Ma première année pour la compagnie Price, j’avais 2 piastres par jour ! 6 jours par semaine, de 7h du matin à 6h le soir, on travaillait même le samedi. On manquait de rien par exemple ! De la bonne nourriture, des bons vêtements, il faisait chaud, dans le bois on était ben ! … mais c’est mieux maintenant, ça s’est amélioré ben gros ! L’hiver les chemins ça fermait, quand j’étais jeune, les automobiles elles voyageaient pu ben, ben ! »

Pour le souper du temps des fêtes, Magella se rappelle qu’ils mangeaient de la tourtière et des poulets, de la viande qu’ils élevaient sur la ferme : « On avait de la viande en masse ! On était autonomes, des poulets, des vaches, des porcs, des moutons, des oies! Pas beaucoup de cadeaux par contre, une orange et on était ben heureux !»

Et votre plus beau souvenir monsieur Magella ? … Mon mariage !

Le mariage de Lorraine Côté et Magella Lavoie, le 25 juillet 1950

En 1953, Magella arrive sur sa terre. Il a 25 ans. « Avec ma femme Lorraine Côté, de Port Alfred, je me suis installé sur la terre ici ! Ma femme, je l’ai rencontrée dans le bois la première fois ! Je travaillais pour son père dans le petit parc, elle était montée, c’était une fête, la Toussaint je crois. On s’est fréquenté 2 ans avant de se marier à La Baie, le 25 juillet 1950. »

Pour le voyage de noces, les deux jeunes mariés se sont rendus à Montréal, pis à St Éloi proche de Rimouski, où les grands-parents de Lorraine résidaient. « On a perdu notre premier enfant, pis on en a eu 11 de vivants. Les enfants sont nés à moitié à la maison, moitié à l’hôpital. On est restés 3 ans chez mon père Vilmont, y’avait 2 étages avec des loyers séparés, mais ça allait très bien pareil ! Pis, sur la terre que j’ai achetée, il y avait une ferme et des lots à bois. Pendant longtemps, j’ai été laitier, je fournissais le lait pour la paroisse. Je passais avec mon pick up, un Fargo 1954 de couleur bleue ! J’avais 7, 8 vaches. Pis pas longtemps après, je descendais mon lait à la laiterie de La Baie. »

La famille de Lorraine et Magella, presque au grand complet !

Les débuts de la Coop forestière de Ferland-et-Boilleau

Magella Lavoie trouvait que la situation forestière de la région n’avait rien d’équitable, et c’est ainsi que l’idée de créer une Coopérative de travailleurs fait tranquillement son chemin : « Au commencement j’étais tout seul, c’était difficile. Il y avait deux gros contracteurs ici, un à Ferland, l’autre à Boilleau, et c’est la même forêt qu’on visait, et eux autres travaillaient pour garder leur territoire. Mais je connaissais bien le sous-ministre des Terres et Forêts, alors j’ai été expliquer mon cas à Québec, et c’est là qu’il m’a dit : fondez une Coopérative et on va vous donner les permis ! »

Les chevaux travaillaient fort dans le bois … comme nous autres !

En mai 1963, une trentaine de cultivateurs se réunissent pour fonder le Syndicat Coopératif de l’Union des Cultivateurs Catholiques de Ferland-Boilleau. Les premiers contrats de coupe ne tardent pas. À cette époque, les premières scies mécaniques arrivaient aussi mais il y avait encore des chevaux. « Les scies étaient pesantes, pas sécuritaires, il n’y avait pas d’anti vibration, pas de freins anti recul, il y a eu de nombreux accidents. »

Président-directeur-général de la Coop forestière jusqu’en 1990, Magella Lavoie s’est également impliqué dans la communauté, notamment pour les chantiers coopératifs : « Il y avait une organisation régionale, la Société Sylvicole du Saguenay, j’ai été président une dizaine d’années ! »  Ce dernier a également siégé 4 années au Conseil supérieur de l’éducation à Québec, été secrétaire de Commission scolaire et vice-président pendant 10 ans de la Chaine coopérative, qu’on appelle maintenant Nutrinor!

Dans les années 70, Magella Lavoie au temps de la Coop forestière.

Dans les années 70, il monte avec un de ses beaux-frères la compagnie LCR. Actuellement la famille Lavoie est toujours présidente de cette entreprise de vente de vêtements de sécurité pour les travailleurs, il existe 9 magasins au Saguenay-Lac-Saint-Jean. « Au début, on allait acheter nos affaires directement de l’armée, on descendait à Montréal pour chercher notre stock, sur l’Île des Sœurs. C’était pas facile, on a faite des erreurs, on n’était pas des commerçants mais finalement il y a des professionnels qui se sont ajoutés à notre affaire et ça continue. On fait même des records dans les ventes. »

La Coop reste aujourd’hui le moteur économique du village de Ferland-et-Boilleau. Dépendamment des saisons, elle peut embaucher jusqu’à une centaine de travailleurs. « Avant ça, la Coop possédait la scierie de Petit-Saguenay et maintenant elle possède presque la totalité de l’usine Lignarex sur le bord de la mer quand tu t’en vas par chez vous », me précise l’homme tranquille bien installé dans son fauteuil.

Avec le regard pétillant et la mémoire bien vivante, celui qui me raconte toutes les entreprises qu’il a initiées tout au long de sa vie, me donne le sentiment d’avoir eu la chance aujourd’hui de rencontrer un homme heureux.