Nécessaire culture

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Crédit photo : John Ashpool

La culture, c’est l’homme. Du prendre soin du champ (le mot latin “cultura” vient du verbe “colere” signifiant “cultiver”, “soigner”) au prendre soin de l’âme, il n’y avait qu’un pas, franchi par Cicéron. La culture, au sens large, est l’ensemble complexe “des manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées”* qui se transmettent à l’intérieur d’une communauté humaine et qui distinguent celle-ci des autres. Autrement dit, la culture comprend “les aspects plus désintéressés et plus spirituels de la vie collective, fruits de la réflexion et de la pensée « pures », de la sensibilité et de l’idéalisme”* : les connaissances, les croyances, l’art, le droit, les valeurs, les coutumes…

À travers la culture, l’homme tisse et enrichit son lien social aux autres.

Au village, la pharmacie, le garage, l’épicerie, le centre médical constituent autant d’espaces utiles à la vie pratique des habitants. Et puis il y a la municipalité, lieu de l’organisation, l’école, lieu de transmission et d’apprentissage, l’église, traditionnellement lieu de partage spirituel, le restaurant et le café, lieux où la nourriture n’est pas uniquement matérielle. Dans un village, quand l’école puis le café ferment, généralement en dernier, après les autres commerces, c’est le signe que le village est mort. Les habitants y vivent désormais côte à côte, dans l’isolement que crée l’absence des lieux de rencontres, faisant leurs courses à l’extérieur, travaillant au dehors, rentrant juste le soir pour dormir. La vie se borne désormais à être fonctionnelle. Le voyageur, n’y trouvant pas de halte, passe sans s’arrêter avec cette sensation de froid un peu triste qu’on a en traversant un village désert.

La culture, c’est tout ce qui dépasse le cadre des échanges liés aux contraintes de la survie ordinaire. C’est la crème sur le lait, les fleurs dans la maison : le meilleur de nous-mêmes.

Il est important qu’existent des lieux de partage social aussi simples qu’une boulangerie, un marché ou un café, important qu’existent des lieux et événements où le sport rassemble, et qu’au printemps s’animent les chalets autour de l’érablière pour les parties de sucre. Il est tout aussi important qu’existent et perdurent des lieux plaçant la culture en leur centre, pour montrer, fêter et partager les œuvres de l’esprit et de la sensibilité. Pour susciter et stimuler réflexion et création et que s’exprime et se développe un regard singulier sur le monde.

La culture élève l’homme au-dessus de l’espace mercantile où le système du tout économique a tendance à le réduire. Elle rappelle, le mettant en lumière, cet espace intérieur, libre et gratuit que l’on a tous en nous. On se pose des questions sur ce qu’on vit et ce qu’on veut, on cherche, on invente, on projette, on crée du sens, de l’autonomie et de l’identité. Et l’on partage cela pour ouvrir ensemble le monde sur un horizon qui n’est plus seulement horizontal. Une bibliothèque, c’est un plus ; un Cercle de fermières, c’est un plus ; une école de musique, c’est un plus ; des espaces où l’on accueille concerts ou expositions sont des plus.

Pratiquer la musique, danser, chanter, tisser, écrire, apprendre, fabriquer de ses mains, admirer, seul et ensemble, trouvent leur nécessité dans le simple constat que cela allume notre flamme, et cela rend heureux de se sentir vivant. Un conteur qui transmet les images de son enfance, se fait le boulanger de notre cœur et de notre âme. La culture, c’est de la nourriture permettant d’épanouir son humanité. Elle réveille notre capacité à nous émerveiller, à regarder du côté où le soleil se lève. La culture, c’est “la réponse naturelle de l’homme au cadeau de la vie”, me disait un ami.

En se souvenant de notre histoire, en valorisant le patrimoine, le territoire, en stimulant les talents, on crée de la profondeur. On choisit une vie réelle en volume plutôt qu’en 2 D. On se sent fier et impliqué.

Alors, qu’est-ce qui caractérise la culture de nos villages ? Dans quelle tradition et quels savoirs s’inscrit-elle ? Et comment l’inscrire dans l’ici et maintenant pour continuer de transformer et d’innover ? Comment la stimuler, la mettre en avant, la magnifier, la faire connaître ?

Autant de pistes à creuser et fertiliser.

Car un village où vibre une culture vivante attire le monde. De près et de loin. Et toute la communauté en profite.

* Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, Éditions Hurtubise HMH ltée, 1992, Montréal.