La planète, un patrimoine à protéger, un territoire à découvrir ?

2800
Chloé Bonnette, coordonnatrice au partenariat pour le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Crédit Photo : Sépaq / J. Grosse

Le concept d’écotourisme est apparu pour la première fois dans les années 70, dans la foulée de la vague écologique et des premières prises de conscience quant aux impacts de notre espèce sur les autres. Autrefois réservées aux scientifiques ou grands explorateurs, la beauté des écosystèmes, leur fragilité aussi, deviennent, par le biais d’une industrie du plein air en pleine effervescence, de plus en plus accessibles à un large public.

L’enjeu est donc tout en équilibre : faire découvrir les splendeurs de notre territoire à un touriste de plus en plus informé tout en minimisant les impacts écologiques de sa visite. Est-ce compatible ou tout simplement utopiste ? Ce dossier propose une rencontre avec différents amoureux de la nature – des personnages hauts en couleurs, des visionnaires, des passionnés, des rêveurs qui, chacun à leur manière, entendent faire leur part pour la planète – afin d’éclairer la réflexion.

Le Bas-Saguenay abrite le Parc national du Fjord-du-Saguenay et le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, deux entités vouées à l’éducation et à la conservation des richesses de notre territoire. Avec des entreprises de croisières aux baleines qui amènent quelques 500 000 visiteurs par année, Chloé Bonnette, coordonnatrice au partenariat pour le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, sait très bien de quoi il en retourne quand on parle des enjeux éco-touristiques. Son travail l’a amenée à participer à l’Alliance Éco-Baleine, une initiative lancée il y a maintenant plus de 5 ans par des entreprises possédant un permis d’activité en mer dans le parc marin.

« Une aire marine protégée, c’est un milieu naturel exceptionnel où le phénomène océanographique qui se produit à l’embouchure du Saguenay dans l’estuaire favorise la venue de nombreux mammifères marins et oiseaux migrateurs. Pour contribuer à la protection de ces richesses, les entreprises membres de l’Alliance veulent développer les meilleures pratiques afin de devenir un modèle international de l’observation responsable des baleines. C’est pourquoi elles ont interpellé les gestionnaires du Parc marin et le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) à Tadoussac», explique Chloé Bonnette.

Quand les visiteurs sont sur un bateau, ils sont disponibles pour recevoir les messages de conservation. Ils ne peuvent pas s’échapper ! Ils ont envie d’en apprendre plus sur ce milieu marin exceptionnel qu’ils voient de leurs propres yeux. L’idée c’est de profiter de ce moment pour les sensibiliser. En écotourisme, on souhaite minimiser l’empreinte écologique du passage des visiteurs, mais il n’y aura jamais d’impact zéro. Cependant, si on peut profiter de ces moments privilégiés pour conscientiser les gens à la fragilité et aux conséquences, à plus grande échelle, de nos gestes sur l’environnement et sur la planète, on en sort tous gagnants. L’objectif est de trouver l’équilibre entre l’impact de l’activité et celui laissé sur les visiteurs.

Six entreprises d’excursion en mer, le GREMM, Parcs Canada et Parcs Québec, forment l’Alliance Éco-Baleine. Les entreprises membres contribuent au Fonds Éco-Baleine permettant de financer des projets de recherches et d’éducation sur les baleines du Saint-Laurent. « C’est une roue qui tourne. Les projets financés par le Fonds servent à créer des outils pour permettre aux capitaines et aux naturalistes sur les bateaux de transmettre les bons messages », poursuit Chloé Bonnette, qui n’a jamais été découragée par l’ampleur du travail à accomplir. « C’est un travail de longue haleine, on y va pas à pas, on consulte, on écoute beaucoup et on s’ajuste. C’est la première aire marine protégée au Québec, il n’y a pas d’autre exemple auquel se référer. Nous sommes des pionniers dans ce domaine, comme plusieurs entreprises en écotourisme d’ailleurs. »

« Ce sont mes valeurs qui m’ont amenée à travailler pour la Sépaq. Par souci de conservation du territoire pour moi, pour mon fils, pour les enfants de mon fils. Même si souvent je travaille dans l’ombre, je sais que mon travail est important. C’est comme ça que je réussis à garder ma passion. Avec le temps, on se rend compte du chemin parcouru. Le meilleur exemple avec l’Alliance, c’est le niveau de communication qui a évolué. Au début, les gens de la mer n’aimaient pas voir les gardes de parc de Parcs Canada sur l’eau. Aujourd’hui, ils demandent à ce que les gardes soient plus présents afin d’assurer la bonne conduite de tous les usagers, surtout en présence des mammifères marins», conclut celle qui pense déjà à 2018 et aux 20 ans du Parc marin.

Découvrir le fjord du Saguenay en kayak permet de faire de belles rencontres
Découvrir le fjord du Saguenay en kayak permet de faire de belles rencontres

L’entreprise Fjord en kayak s’est installée sur les bords du fjord à L’Anse-Saint-Jean en 1996. Arrivée avant la création du Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent, il n’existait alors aucune loi ou règlementation encadrant le kayak de mer malgré l’engouement pour cette nouvelle activité de plein air. Conscient des enjeux, Louis Dubord, co-fondateur avec Sylvie Major de l’entreprise, a alors créé un protocole de formation pour ses guides à partir du brevet de kayak en eau vive et du brevet de capitaine de bateau. « On voulait atteindre une qualité de service et de sécurité » précise celui qui a siégé 15 années au conseil d’administration d’Aventure Écotourisme Québec (AEQ), une association qui sensibilise les entreprises de plein air à une attitude éco-responsable. « L’AEQ s’est donnée comme objectif d’être une marque de qualité pour encourager la clientèle internationale. En kayak par exemple, il y a une centaine de normes à respecter. »

La définition de l’écotourisme, c’est de ne laisser aucune trace de son passage dans l’environnement et mais également d’encourager sa région, travailler avec les gens de la place. Ainsi, Fjord en kayak collabore avec la Pâtisserie Louise, les Cerfs rouges de Saint-Étienne, l’épicerie Amyro, le Café du Quai, la Fromagerie Boivin, etc. Aussi, l’entreprise essaye d’engager des guides originaires du Bas-Saguenay mais il y en a peu. « Une pratique éco-touristique, c’est aussi savoir parler de notre territoire et moi je me fais un devoir à chaque excursion de dire aux gens comment est-ce que notre nature est belle… et fragile. Rappelez-vous, vous qui êtes peut-être des industriels du pétrole… vous trouvez ça beau, et bien faites y attention ! » s’exclame Louis Dubord.

Pour ce dernier, le défi c’est d’allier le côté entrepreneurial à la passion du plein air. Actuellement, il y a plein de passionnés mais peu d’entrepreneurs. La relève se fait rare pour les petites entreprises de plein air d’aventure. Pourtant les gouvernements provinciaux et fédéraux le réalisent de plus en plus, le plein air est un levier économique majeur et ces deux paliers de gouvernement investissent temps et argent dans des projets de partenariat.

Avant de repartir sur l’eau, Louis Dubord précise : « Pour  bien faire ton travail, il faut que tu aimes des gens. La sortie de 3 heures, cela fait peut-être 2000 fois que je la fais, alors la passion il faut vraiment qu’elle soit présente. Il faut être sociable, aimer le monde mais aussi être en mesure de vivre avec le stress, la météo. Avec le plein air d’aventure, il ya tout le côté sécurité qui est bien important, mais ce qui fait la différence, ce sont les histoires que l’on va raconter. Le client, il faut qu’il ait la tête remplie de belles histoires quand il rentre chez lui, pas juste de beaux paysages. »

Édouard Procyk aime partager du haut de sa montagne le bonheur de prendre le temps.

Du côté des montagnes et de l’arrière-pays du Bas-Saguenay, ce territoire de 550 km2 entourant nos villages permet aux rêveurs à l’esprit vagabond de laisser libre cours à leur imagination. À Saint-Félix-d’Otis, Édouard Procyk et sa femme Sylvie Tremblay ont un rêve, celui de partager leur passion de la nature et de la vie. C’est avec cet état d’esprit qu’ils ont acquis, il y a maintenant 25 ans, 5 lots à bois. En haut de sa montagne, surplombant le Lac Cazot, Édouard raconte le bonheur de prendre le temps de respirer l’aura de la Terre. Ici, à plus de 400 mètres dans les airs, au-dessus des arbres et du chant des oiseaux, la beauté presque solennelle qui nous entoure invite à parler tout doucement, comme si on entrait dans un lieu sacré.

« On appartient à la Terre dans le fond, on vient de là. On fait partie de l’écosystème mais pour beaucoup de gens, ça ne veut plus dire grand-chose. Pourtant tout ce que l’on détruit, c’est comme si on se l’infligeait à soi-même ! Au moins, il y a de plus en plus de gens qui s’en aperçoivent, » réalise Édouard sans pour autant perdre de sa bonne humeur contagieuse.

Il y a 25 ans, il voulait créer une activité d’Arbres en arbres, mais la municipalité n’a pas suivi. Maintenant, Édouard voit ce territoire comme un projet de retraite : entretenir des sentiers et pouvoir les partager au monde. « Pourquoi ne pas l’offrir, faire de petites cabanes, remettre les gens en connexion avec la nature. Découvrir la pêche, les marches en forêt, j’aimerais pouvoir partager ma passion avec des gens qui n’y ont pas accès ! »

Un autre personnage, tout aussi coloré et poétique, habite le village de Petit-Saguenay. Jean-Yves Côté a créé un réseau de sentiers accessibles au public, qui est bordé par des sculptures et des poèmes. Baptisé Le monde enchanté de mon enfance, ce domaine rend hommage à la centaine d’enfants qui résidaient à proximité et couraient partout dans les bois. « J’ai passé toute ma jeunesse ici, jusqu’à l’âge de 14 ans, précise celui qui possède maintenant 10 lots à bois qui entourent le village de Petit-Saguenay. Avec les cousins de ma femme, j’ai construit 12 belvédères, 12 ponts couverts et j’entretiens trois petits musées. En 2015, il y a eu entre 500 et 600 personnes qui sont passées gratuitement sur mes sentiers, je suis inscrit dans le répertoire des sentiers de la province de Québec.»

Jean-Yves Côté, poète et bûcheron à la fois.

Celui qui fait remarquer qu’au Québec, 90 % des marcheurs sont des marcheurs d’asphalte, poursuit un rêve, celui de mêler la culture et la nature, et rendre ainsi hommage à l’histoire des premiers colons, indissociable de celle de la forêt. Rencontrer Jean-Yves Côté, c’est tourner les pages d’une histoire régionale : au fur et mesure que l’on découvre la multitude d’objets insolites et patrimoniaux qui ornent ses bâtisses, la tête nous tourne presque, tellement on ne veut rien manquer.

Du haut de ses belvédères qui surplombent les montagnes entourant le village de Petit-Saguenay, on prend toute la mesure de l’immensité de la nature qui nous entoure. « Du cap à Don Jean, on voit le Mont-Conscrit, la Montagne blanche, les  Monts-Valin, le fleuve Saint-Laurent, le fjord du Saguenay et on voit même le phare en face de Tadoussac. Ce belvédère a été construit pour partager le plaisir visuel, pour partager ce que l’on ressent en dedans quand on est tout là-haut. »

Notre région regorge de beaux paysages, d’horizons à perte de vue et d’activités de plein air qui nous permettent de les découvrir. Ce qui lui donne tant de charme, c’est aussi la singularité des personnages qui l’habitent, la passion et les histoires qu’ils partagent avec joie. C’est une rencontre, finalement, entre une nature qu’on souhaite préserver et une riche culture qui se nourrit de ce territoire grandiose. Ces gens qui nous permettent de découvrir le Bas-Saguenay au quotidien nous rappellent avec couleur que nous faisons tous partie d’un même écosystème, beau et fragile à la fois !