Quand d’autres chauffent leur Camper pour partir pêcher les fins de semaines, eux sortaient leur Westfalia pour se faire un “voyage boulangerie”. Daniel Côté et Diane Houde, tous deux natifs du Bas-Saguenay et enseignants à l’École Fréchette de l’Anse, ont toujours “tripé pain”. Un “voyage boulangerie”, cela consiste à repérer les adresses des places réputées pour faire du bon pain et… partir les visiter. “En entrant, juste à la senteur, on est capable de dire : ah, ça, c’est une boulangerie qui nous ressemble !” Ils sont allés ainsi jusqu’à Cowansville, dans les Cantons de l’Est, pour visiter La Mie Bretonne et ont arpenté bien des villages de France pour goûter et comparer les baguettes.
“Ma grand-mère faisait du pain, ma mère aussi, moi, je rêvais de jouer dans la farine !”, raconte Diane. Quant à Daniel, il se souvient du matin où il a enfourché son vélo, pris le traversier et roulé, roulé, roulé, dans le froid et le vent, jusqu’à Kamouraska. Ce jour-là, manque de chance, la porte de la fameuse boulangerie Niemand est close. Daniel, planté devant la porte, digère sa déception quand Jochen Niemand en personne, passant par là en un heureux hasard, l’aperçoit, l’interroge et, touché par tant de motivation, l’invite à revenir faire du pain avec lui, une prochaine fin de semaine. C’était en 1999.
Depuis, Daniel a toujours fait son pain, dans son four, chez lui. Il est même parti se former deux semaines près de Paris. Pour le plaisir. Comme il avait, par curiosité et passion, rendu visite à Jean Couture à l’origine de la boulangerie Unisson (créée en 1985, sur les Plateaux, celle-ci a distribué du pain dans tout le Québec pendant quelques années).
Si on leur avait prédit, au printemps 2016, qu’ils ouvriraient une boulangerie trois mois plus tard à l’Anse, Daniel et Diane ne l’auraient pas cru. “On y avait vaguement pensé il y a quatre ans, mais je trouvais décourageante l’idée de me lever tous les jours à 2 heures du matin au moment de ma retraite”, dit-il. “Cela s’est décidé en un mois”, raconte Diane, encore étonnée. Juillet 216, Nuances de grains ouvre donc ses portes, en toute discrétion, rue du Coin. À l’automne, le jeune Jason Kyle, lui aussi passionné, rejoint l’équipe.
Les deux hommes se rendent vite compte qu’ils ont en commun pour héros l’Américain Chad Robertson, roi du pain au levain naturel, créateur de la boulangerie Tartine à San Francisco. Car pour Daniel, il n’est point de pain si ce n’est au levain. “C’est lui qui donne toute la saveur et permet une meilleure conservation, sans aucun ajout chimique”. Son levain, à base de farine de seigle biologique, est préparé chaque jour et fermente lentement dans les frigos pendant seize heures. “C’est un pain qui prend son temps, on ne peut pas le brusquer”, commente Diane.
Ainsi, tout l’hiver, Daniel a peaufiné ses recettes, tandis que Jason, mû par un même perfectionnisme, mixait ses expériences acquises à Montréal et dans l’Ouest canadien, explorant les secrets du feuilleté, oh ! combien délicat, des croissants.
Été 2017. Un an plus tard, presque jour pour jour, la nouvelle boulangerie migre au Presbytère, marquant de bon augure la première étape de reconversion de ce beau bâtiment patrimonial, au centre du village. Nuances de grains est désormais ouverte du mercredi au dimanche, au grand bonheur des touristes de passage et des Anjennois qui peu à peu découvrent ou retrouvent le plaisir d’aller à la boulangerie. “Je rencontre plein de nouvelles personnes venues de l’extérieur, mais demeurant à l’Anse”, se réjouit Diane.
L’enthousiasme aidant, l’équipe a élargi son répertoire, Daniel orchestrant les pains gourmands (miel-raisin-noisette, canneberge, chocolat-sésame, lin-tournesol ou campagnard) et Jason les viennoiseries (chocolatine, croissants aux amandes, muffins et autres biscuits, sans oublier les chaussons fourrés au cerf et aux pleurotes du Saguenay et le nouveau McDan (clin d’œil au boulanger), une délicieuse danoise œuf-fromage-jambon et légume vert. Tout cela peut s’emporter ou se déguster sur le pouce avec un vrai café autour du comptoir, dans la salle arrière du Presbytère, sur les bancs de la galerie extérieure ou dans l’herbe, sur une nappe, façon joyeux pique-nique.
Debout quotidiennement à 4 heures du matin, Daniel et Jason sont “brûlés mais ravis”. Quant à la boulangère, toujours chic et charmante, elle donne au lieu l’atmosphère délicieuse d’une comédie musicale des années 50. On leur souhaite de durer aussi longtemps que la vaillante Pâtisserie Louise qui continue au bord du quai à régaler les papilles de ses tartes aux framboises.
Une boulangerie, c’est le signe du cœur qui bat dans un village, et à deux pas de l’église : un petit miracle en somme !