C’est le shift de nuit, un homme travaille. Entre le ronron de la machine et le monologue de la radio, le temps s’égrène. Il éteint le poste pour vivre un moment de silence. Tout à coup, des images se dessinent; une belle grande tablée d’enfants, le cliquetis des fourchettes et des cuillères chantent. Les petites voix se mêlent à la voix grave du père Vital et pépiant tout autour, la voix claire de madame Antoinette gère le repas. Mais il y a un autre ti-gars qui est là, venu d’ailleurs, le 13e au bout du banc. Car, dans c’te monde-là, on laisse personne tout seul. Ils seront treize à la douzaine!
Dans le roulis de la nuit, l’homme redevient ce petit garçon timide du bout de la table. Et c’est ainsi, que la NUIT jeta un sort à Élias Coté. Il renaît en conteur- passeur de tendresse. Ses mains et ses mots tissent une belle grande laize sur le métier à tisser des histoires. Désormais, les nuits seront peuplées des personnages de sa vie et réchaufferont les cœurs de tout un village.

Élias Coté est rendu à l’âge où il a écouté les histoires de son grand-père Arthur. Assis à côté de l’enfant, le grand-père parle et nourrit l’âme pour l’enraciner. Il explique comment faire un travail, donne le mouvement au fur et à mesure jusqu’à ce que le jeune soit capable de bien accomplir la tâche. Il guide, et rassure par sa présence pleine. Le jeune Élias écoute le monde des grands, observe les détails, ressent l’émotion dans les mots et entend les bruits d’un lieu.
Puis un souffle plus grand que soi s’échappe pour conter la vie des hommes qui l’ont forgé en tant qu’être humain. Arthur, attentif à la floraison du petit homme, Félix son père, au quotidien travaillant, Vital, le forgeron au grand cœur et à la force herculéenne et Élias Houde, pour la droiture. Y a aussi les femmes, Antoinette, la conciliatrice et Tante Martine, la scruteuse d’âme du quêteux.

Élias Coté, de Petit-Saguenay, nous dit :
« Dans mes contes, je nomme les personnes, ça fait revivre ces gens-là, ça empêche le passé de disparaître...
Le passé lance une tite corde, une ficelle avec son petit grappin, dans l’présent. De temps à autre, le passé accroche kekchose, il refait surface. Le conte surgit dans le présent. »
Depuis plus de 30 ans, Élias reçoit les images vivantes, les bruits du quêteux qui marche en « tac tac toc », parce que le bonyenne boîte seulement si on le regarde! Puis, il sent les odeurs du pâté breton et du pain chaud après les foins. Notre conteur possède un sixième sens pour capter les émotions et la finesse du récit.
Le fjord, avec ses puissantes vagues, ses falaises de roc fuselées, ses forêts à défricher, ses rivières impétueuses qui cascadent au village agrippent l’humain et celui-ci doit survivre avec ses mains et sa volonté. Le capitaine Lavoie porte l’étoffe d’un héros tout comme la PDG de la ferme, madame Antoinette, qui doit faire rouler son monde. Ces personnages deviennent plus grands que nature car survivre coude à coude, demande un dépassement et inspire les combats de demain.

Le conte, ça fait circuler le courage dans les veines d’un village.
En 2019, les contes d’Élias Coté se déploient dans le spectacle Marguerite et Odyssée, la navette de Petit-Saguenay. Jean Bergeron, complice des premières heures, la chorale du village et plusieurs résidents de Petit-Saguenay participent à l’ouvrage bien ciselé. Quel succès!
En 2020, lors du lancement des POPS, (Produits Originaux Petit Saguenay), une rencontre mémorable se produit entre deux conteurs escogriffes, dont l’un est issu des lutins et des fées et l’autre, de souche et de rivière.
Cette rencontre unique avec Fred Pellerin, orchestrée par un joueur de tour céleste, allume des étincelles dans les yeux. Les deux conteurs se sont apprivoisés puis Fred pose une question. Et c’est là, que le conte d’Elias s’est « débobiné ». Notre fabuleux conteur a ainsi présenté, solennellement, le fjord à Fred Pellerin. « Y avait d’la magie ! » Un bon serrage de mains, une jasette de connivence, des raconteux qui se reconnaissent et qui partent à rire. Un sentiment d’harmonie et de grande envolée a uni les deux hommes, hors du temps, avec comme témoin, le fjord grandiose.

En décembre 2020, avec la marche des sportifs de rue, le projet fait revivre le conte de l’arrière-grand-père Charles, le postillon. Cet homme qui a gravi les montagnes, descendu les vallées pour remonter encore des milles et des milles. Il avalait la côte en allant vers Rivière-Éternité puis s’abreuvait à même la rivière! C’est un titan besogneux et humble, qui marche chaque semaine, digne de la confiance des gens, pendant 30 ans !
À sa manière, le postillon inspire la persévérance et le respect aux jeunes d’aujourd’hui. Sans même le savoir, ces jeunes ont choisi le même parcours. Eux aussi ont rencontré leur âme, un dimanche… Mais pour ça, faut écouter le conteur!
Le conte, ça sert à tisser un lien entre le passé et des valeurs de base comme la solidarité, l’entraide et la compassion; de petites leçons de vie livrées avec humour pour les défis actuels.
Devenir conteur, ce n’est pas un choix offert à l’école des métiers! Pour Élias, c’est une impulsion qui vient de l’intérieur. Il veut transmettre le sentiment d’appartenance dans le cœur des nouveaux arrivants. « La plus grande force qu’on a, c’est quand on appartient à quelque chose. » Élias dit qu’il appartient aux gens qui lui ont offert leur confiance, qui remontent son estime. La nature nous arrime aussi. Il appartient au croche dans la rivière, là où se niche le saumon, à la vue sur la montagne, à l’Anse au cheval sur le fjord. Ce n’est pas pour rien, quand on écoute Élias le conteur, qu’on entend des mots de forêt, car il y puise les racines de ses contes.
Dans le tumulte du XXIe siècle, avec les échanges virtuels incessants, quand la mémoire vivante émerge des contes, il en ressort une puissance qui nourrit.
Il devient judicieux de creuser dans nos racines pour approfondir la rencontre avec soi et ressurgir plus fort. Avec sa parlure agile, Élias Coté continue de talonner l’avenir avec délicatesse et profondeur pour nous inspirer foi et débrouillardise.