Organisation Bleue a navigué sur les eaux du fjord l’été dernier sur le Vanamo, un voilier de type catamaran. Une belle opportunité pour aller poser quelques questions à Anne-Marie Asselin, fondatrice de l’organisme et cheffe de l’Expédition Bleue.
Un peu d’histoire
« L’aventure a commencé en 2019 quand on a décidé de faire une grande tournée de nettoyage de berges de Terre-Neuve jusqu’aux Grands Lacs, donc l’entièreté du bassin hydrographique du Saint-Laurent. J’arrivais d’Amérique latine où j’avais pu constater l’étendue démesurée de la pollution plastique à l’international, et je me disais le Canada c’est propre ! » m’explique Anne-Marie Asselin qui a alors vécu un immense choc.
Le premier nettoyage de berge fait dans le parc de Gros Morne à Terre-Neuve a permis de ramasser une tonne de plastique ! Et les déchets récoltés venaient clairement du plus beau pays au monde ! (Pepsi, Coca-cola, chips, Tim Horton, etc.)
Dès ce premier nettoyage, Anne-Marie Asselin, biologiste marine de formation, a immédiatement décelé le besoin de récolter des données. « Pendant 5 ans, j’ai continué à porter ce projet de caractérisation à chaque opportunité qui m’amenait sur les littoraux. Suite à plusieurs efforts en communication, plusieurs partis politiques nous ont contactés, notamment des analystes chez Environnement et Changements Climatiques Canada, (ECCC), qui ont vu avec notre initiative l’importance de récolter des données au niveau des macros plastiques sur les berges. »
Au-delà de la science, Organisation Bleue détient le seul savoir coordonné, organisé, avec une base statistique solide, permettant de moduler une loi sur le bannissement du plastique à usage unique, mais aussi d’affronter le lobby qui est en justice depuis 5 ans pour essayer de débattre l’utilité ou la pertinence d’interdire certains items comme les bouteilles en plastique à usage unique sur cette liste rouge.

Il était une fois une bouteille à la mer !
Organisation Bleue essaye d’ancrer le mouvement dans une démarche communautaire, car plus il y a de volontaires pour collecter, plus il y a de données. « On forme les gens sur place, qu’ils voient la façon de faire, se sensibilisent tout en acquérant des connaissances. Prenons l’exemple de Petit-Saguenay, les gestionnaires du camping, les citoyens, citoyennes, des jeunes du camp de jour, les OBNL ainsi que des membres de l’équipe municipale étaient invités. Quand tout le monde arrive, on leur donne des gants et des sacs de collecte. On part sur la plage et on ramasse tout ce qui n’est pas organique, jusqu’à ce que le sac soit plein. Ensuite, on dépose le contenu sur la bâche et quand on a assez de stock, on procède au tri et à la collecte de données, avec un protocole très précis de 11 catégories et plus de 150 sous catégories, (bouteille de plastique, bouchon, on va différencier un mégot de cigarette d’un mégot de cigare, etc.). On va dans le détail, ce qui nous permet de voir des tendances, des statistiques et la variabilité du type de déchets dans l’espace, dépendant du secteur économique ou de la détérioration du plastique avec le chemin parcouru. »

J’apprends ainsi que dans les zones urbaines, on va retrouver beaucoup de déchets de la restauration rapide, peu dégradés, ce qui indique l’usage local et rapide,
versus sur les plages d’une île dans le milieu de l’estuaire, où on va retrouver plus des morceaux d’hydro-mousse. Plus on rentre dans le Golfe, plus on trouve des déchets de pêche, bouées, cordages. La seule constante semble être les déchets de la restauration rapide que l’on peut retrouver même dans les lieux très protégés, très éloignés, puisqu’ils sont légers et voyagent au gré des courants.
L’autre observation très intéressante que l’Organisation Bleue a pu faire, c’est au sujet de la détérioration du plastique quand on s’éloigne vers le Golfe et l’Atlantique. « À Terre-Neuve, Halifax, l’Île du Prince Édouard, on retrouve plus de morceaux de plastique. Jusqu’à Baie Comeau, on va retrouver des bouteilles entières, mais après on va voir plus de demi bouteilles, morceaux désagrégés, goulots, donc il y a vraiment une action de détérioration avec le soleil, le sel, les vagues, la friction. On peut soupçonner que ce qui aboutit dans l’Atlantique, c’est finalement plus une soupe de particules », poursuit la biologiste que rien ne semble démotiver même si les nouvelles ne sont pas toujours épatantes. « On peut sur le terrain récupérer des bouteilles de plastique qui datent des années 80, très bien préservées ! Dans le monde actuel, où l’on surconsomme, où la production de plastique est appelée à doubler d’ici 2030, si le problème est gros maintenant, il ne va pas s’arranger demain. »
Lueurs d’espoir
Il y a une volonté politique, et même si on fait partie d’un système où les lobbies ont un pouvoir incommensurable, il y a également toute une mobilisation des connaissances qui est en train de prendre place. On voit aussi se dessiner des objectifs pour 2030, les gouvernements parlent de 30 % d’aires protégées, d’aires marines protégées qui vont voir le jour.
« Notre objectif avec toutes ces collectes et analyses, c’est de faire reconnaitre que la pollution elle est omniprésente et diffuse, même dans les réserves fauniques. Avec cet objectif 2030 de 30 % du territoire protégé, est-ce qu’on pourrait réfléchir à des mesures d’atténuation, de surveillance environnementale et d’efforts de dépollution ponctuels, annuels, avec les instances qui gèrent ces espaces-là ! »
La force de la concertation
Le fjord, c’est la première fois que l’Organisation Bleue s’y retrouvait en 2024. « Ce qui nous a impressionné, c’est de voir la quantité d’eau des marées de 6 mètres qui suggére un nettoyage potentiel par la suction forte créée par ces marées.
Donc le fjord, à première vue sur les rivages, semblait très propre. Par contre, on a ramassé énormément de pneus dans les embouchures des rivières. »
Partout où le voilier Vanamo s’est arrêté, une vraiment belle participation citoyenne l’accueillait. « En retournant dans le Saint-Laurent, après notre passage dans le fjord, on a clairement observé une différence. C’est sûr qu’il y a de la pollution partout, mais c’était une belle surprise de voir le fjord si propre. »
Motivés, il faut rester motivés !
Même si cela semble parfois insignifiant, les petits gestes que l’on peut faire en tant que consommateur ont un impact direct par nos achats et nos proches, en refusant d’utiliser du plastique à usage unique par exemple !
On peut prendre une pièce de la maison à la fois, commencer par la salle de bain, et substituer les brosses à dent en plastique avec des matériaux biodégradables et locaux, utiliser des pains de shampoing, etc. À la plage lors d’un pique-nique avec des aliments préemballés, on peut ramasser et veiller à ce que rien ne s’envole au vent. On n’est pas obligé non plus d’utiliser la poubelle municipale sur le bord de la plage qui déborde déjà.
Bref s’assurer que nos déchets s’en vont à la bonne place. Développer sa conscience, de l’empathie aussi pour le monde qui nous entoure, se rappeler que l’on en fait partie de cet écosystème et qu’il est important de le respecter, comme on apprend à un enfant à être poli.
« J’aime toujours finir une entrevue avec le potentiel de sensibilisation et les capacités de chaque être humain, parce que malgré la polarisation, qu’on soit de droite, de gauche ou du milieu, je pense que tout le monde sait que l’on a besoin d’un environnement sain pour survivre. Placer cette idée au cœur des débats, se rallier autour de cette fierté-là, il me semble que c’est un bon début. »