Les saveurs locales qui rassemblent le Bas-Saguenay

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Une assiette de soupe à l'oignon servie à L'Auberge du Camp de Base à L'Anse-Saint-Jean
Le Camp de Base aime mettre de l'avant les produits locaux !

Un engagement collectif qui nourrit le territoire, une table à la fois

Au Bas-Saguenay, intégrer les produits locaux dans les menus ne relève pas d’une tendance passagère, mais d’un engagement profond envers le territoire, ses producteurs et la vitalité de la communauté. Lors de ma tournée des restaurateurs de la région, j’ai rencontré des chefs et des artisans passionnés qui bâtissent, chacun à leur manière, une véritable économie circulaire nourrie par la proximité, la créativité et la solidarité. Du bistro de la Chasse-Pinte à l’auberge du Camp de Base, en passant par l’Auberge du Jardin ou le Café du Quai, tous entretiennent des liens forts avec les producteurs d’ici. Ensemble, ils tissent une véritable trame nourricière qui fait  bien plus que remplir nos assiettes.

Assiette de crudité au soleil
À l’Auberge du Jardin, le menu s’inspire des produits des fermes alentours.

Ces liens sont souvent basés sur une confiance construite au fil des échanges. « On construit le menu autour de ce qui est disponible, et c’est gagnant pour tout le monde », m’a confié Léa, de l’Auberge du Jardin. « Ce sont les produits locaux qui donnent de la couleur à mon menu, c’est ce qui le rend unique », souligne-t-elle. Cela demande parfois des ajustements de dernière minute, comme au bistro de La Chasse-Pinte, où Christelle compose son menu du jour en fonction des arrivages. Sa collaboration serrée avec la Ferme d’en Haut rend ces adaptations plus simples… et franchement inspirantes.

À l’Auberge du Camp de Base, Alex, le chef, m’a parlé de ces coups de main informels qui rendent leur cuisine aussi vivante: « Parfois, c’est simple comme un coup de fil. Un producteur a un surplus, on adapte le menu. » Une belle façon de conjuguer gastronomie et entraide, tout en restant ancré dans le territoire. Julie, qui travaille au service, m’a dit avec fierté à quel point ils mettent de l’avant les produits locaux dans les assiettes… et les verres!

Le bistro de la Chasse-Pinte est accrédité Ambassadeur Zone Boréale; un label remis aux restaurateurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui s’engagent à mettre en valeur les saveurs régionales et les producteurs d’ici. Christelle, cheffe du bistro souligne que cette reconnaissance contribue à structurer leur approvisionnement grâce à des critères clairs et à un réseau de distributeurs facilitant l’accès aux produits locaux.

Assiette avec une crêpe et de la salade
Rien ne bat le mesclun de la Ferme d’en Haut !

J’ai aussi jasé avec Sébastien, du Café du Quai, tout fébrile à l’idée de rouvrir cet été. « Rien ne bat le mesclun de la Ferme d’en Haut! », m’a-t-il lancé. Et il n’est pas le seul à le dire. Ce mesclun revient souvent dans les cuisines locales pour sa fraîcheur et sa belle durée de conservation. Et derrière ces échanges, on privilégie souvent le paiement du juste prix, sans négociation, pour assurer la pérennité des producteurs. Ce respect mutuel renforce un sentiment d’interdépendance bien réel entre les acteurs du territoire.

Certaines contraintes, toutefois, freinent l’approvisionnement local. Les normes sanitaires du MAPAQ, par exemple, limitent les possibilités de collaboration directe avec les petites fermes pour des produits comme les œufs ou le poisson pêché localement. Et les producteurs, souvent de petite taille, ne peuvent pas toujours répondre à une demande croissante : une boulangerie artisanale ne peut pas doubler sa production du jour au lendemain. C’est le cas de Nuances de grains, dont les pains convoités se retrouvent sur les tables des brunchs de l’Auberge du Jardin. La boulangerie elle-même est bien plus qu’un lieu de production. C’est aussi un espace vivant du village, un point de rencontre chaleureux où les citoyens viennent chercher leur pain, mais aussi un peu de lien. Pour Diane, copropriétaire de la boulangerie, être là, c’est aussi une façon de nourrir la communauté.

Plusieurs m’ont aussi parlé de la fermeture récente de l’élevage de cerf rouge à Petit-Saguenay, mis en valeur dans plusieurs menus. Cela rappelle à quel point certaines filières sont fragiles, et met en lumière la vulnérabilité des circuits courts et de l’importance de réfléchir collectivement à  l’avenir de notre autonomie alimentaire.

Et pourtant, le fjord regorge de poissons! Les pêcheurs locaux en profitent, mais en cuisine, c’est une autre histoire : les normes actuelles rendent difficile, voire impossible, d’intégrer ce poisson pêché localement aux menus. Un paradoxe bien réel, qui illustre les tensions entre réglementation, sécurité alimentaire et valorisation des ressources du territoire.

Dans ce contexte, plusieurs rêvent d’un approvisionnement local plus diversifié; du lait d’avoine local, par exemple, ou du poisson d’élevage plus accessible. Tous font néanmoins preuve d’ingéniosité pour composer avec les défis liés à l’approvisionnement en région éloignée.

Ces idées soulèvent des questions plus larges sur l’organisation collective. Comment faire pour soutenir les producteurs et les restaurateurs, pour que le poids d’un approvisionnement local ne  repose pas uniquement sur leurs épaules? Faudrait-il mutualiser certaines ressources, par exemple ?

Une chose est certaine: ici, les produits locaux ne sont pas qu’un ingrédient de plus dans l’assiette. Ils racontent une histoire de territoire, d’entraide et de résilience. Ensemble, les restaurateurs et les producteurs du Bas-Saguenay tracent le chemin d’une communauté nourricière bien vivante, une table à la fois. Et si vous vous y arrêtez, il y a de bonnes chances que vous leviez votre verre avec une bière de la Chasse-Pinte, brassée avec des ingrédients biologiques et des plantes boréales cueillies pas loin d’ici. Santé !